Au début, il y avait un train…

Chose promise, chose due, coupine!
Oui, ok, je suis limite mais on est quand même lundi, nan?
Pas question de louper ce rendez-vous Récapitulons-exhaustivement-le-feuilleton-Tasticottien.
Pas question.
Parce que tu vois, coupine, les événements de vendredi m’ont enseigné qu’il était urgent de vivre ce qu’on estime important. Et aussi qu’il fallait sans attendre faire ce qui nous tient à coeur.
Alors me voilà ce soir avec le début de toute l’histoire. Ce texte, je l’ai écrit en Janvier 2012, sans penser qu’il était le premier d’une série.


LE THALYS DE 8h35
– Alexandre –

Le train allait avoir du retard.
Satané Thalys! Alexandre fronça les sourcils, contrarié par cette annonce. Il recommença à faire les cent pas sous le panneau affichant les arrivées à la gare du Nord, jetant malgré tout des coups d’oeil à la ligne correspondant au train en provenance de Bruxelles et espérant vaguement qu’il serait finalement à l’heure.

Il se sentait nerveux. Qu’allait-il lui dire?
« Bonjour, vous me reconnaissez? On était assis côte à côte dans le train, la semaine dernière. Je vous offre un café? ».
C’était d’une banalité affligeante, il le savait bien, mais il n’avait rien trouvé d’autre.

Il était tôt mais la gare grouillait déjà de monde. Alexandre regardait distraitement le flot de voyageurs pressés déversé par un TGV en provenance de Lille-Flandres, lorsqu’une voix féminine précisa que le Thalys aurait 35 minutes de retard.
Fichu train!
Il avait les mains moites malgré la fraîcheur matinale. Il se sentait comme un collégien à son premier rendez-vous. A 37 ans, c’était ridicule. La plupart du temps, à la banque où il travaillait comme analyste, en société, en famille ou avec ses nombreux amis, il était à l’aise et sûr de lui. Mais là, il se sentait fébrile et avait du mal à déglutir.

Il voulait la voir, lui parler, ressentir à nouveau ce qu’il avait éprouvé dans le train la semaine précédente, ce merveilleux bien-être et cette légèreté qui l’avaient accompagné pendant l’heure et demi qu’avait duré le trajet.

Il lui était littéralement tombé dessus, sur le quai à Bruxelles-Midi. Les dossiers qu’elle tenait sous le bras avaient volé et elle lui avait crié dessus pendant que, penaud, il l’aidait à ramasser ses feuillets.
« C’est pas vrai ça! Vous ne regardez jamais où vous allez? Regardez-moi ce bordel maintenant! Pfff….Oh et puis faites attention, vous allez marcher dessus! C’est pas possible ça! Donnez-moi ça! Donnez-moi ça, je vous dis! Je les reclasserai moi-même! ».
Piqué au vif, il avait lui aussi haussé le ton. « Bon ben ça va, hein? Je vous ai dit que j’étais désolé, pas la peine de m’engueuler comme ça! Je suis désolé, DESOLE! Ca vous va ?! » et sur un regard venimeux, il s’était éloigné à la recherche d’un endroit où prendre son café.

Il était de mauvaise humeur, ce matin là. Ça avait été une mauvaise idée de rester à Bruxelles pour le week-end, après sa semaine de formation. Il avait plu sans discontinuer et il s’était ennuyé ferme, à faire le touriste tout seul sous la pluie. Il avait dû se lever tôt pour regagner Paris, s’était trompé de ligne de métro en allant à la gare et il ne lui restait plus une once d’amabilité à prodiguer à cette furie.

Il avait trouvé sa place dans le train et était en train de ranger son sac de voyage dans le compartiment au dessus de son siège quand il avait entendu « Ah non, pas vous! C’est bien ma veine, ça! ». Il avait reconnu sa voix avant de baisser les yeux vers la jeune femme qu’il avait bousculée quelques minutes plus tôt. Elle était jolie, malgré son air agacé.
« Ah ben merci, ça fait plaisir! » avait-il répliqué. « Si vous n’êtes pas contente, vous n’avez qu’à aller vous asseoir ailleurs. »
« Mais non, le train est plein à craquer! Et puis j’ai déjà sorti toutes mes affaires, là… Non, mais tant pis… je vais rester là… »
Elle avait levé les sourcils en signe de résignation et ses lunettes avaient glissé au bout de son nez. Il l’avait trouvée craquante et cette pensée l’avait adouci. S’asseyant en prenant garde de ne pas déranger les papiers de sa voisine, il lui avait souri puis avait ouvert son journal.

L’arrivée d’un Eurostar était annoncé. Alexandre sortit de sa rêverie, leva les yeux vers le panneau d’affichage, constata que le Thalys était toujours annoncé avec le même retard et reporta en soupirant son regard sur les TGV qui s’alignaient devant lui. Machinalement il sortit le col en laine blanc du sac en papier qu’il tenait à la main. Pour la millième fois depuis qu’il l’avait, il le porta à son nez et inspira profondément. Il ne sentait presque plus rien mais cela suffit à le transporter à nouveau dans le Thalys de la semaine passée.

Il n’avait pas lu longtemps son journal, il avait eu envie de lui parler. Alors il s’était penché et avait demandé si c’était elle qui avait dessiné ce qu’il voyait sur les feuilles étalées sur sa tablette. Elle l’avait regardé avec un drôle d’air, puis elle avait souri et répondu oui. Elle lui avait expliqué qu’elle était « web designeuse », qu’elle créait des identités visuelles et qu’elle allait présenter son travail à un grand groupe qui avait décidé de refondre son site web. Si son agence remportait le contrat, elle pourrait venir régulièrement à Paris. Toutes les semaines pendant plusieurs mois. Elle était enthousiaste et plus elle lui parlait, plus il se sentait charmé. Elle adorait Paris, aussi crut-il bon de lui confier qu’il était un Parisien de souche, né à Paris, élevé à Paris et vivant à Paris.
« C’est pour ça que vous n’êtes pas sympa? » lui avait-elle demandé avec un sourire. « On dit comment déjà… Parigot, tête de veau… »
Ça l’avait fait rire. Et il lui avait présenté ses excuses pour son mouvement d’humeur sur le quai. Il lui avait raconté son week-end raté, mouillé et solitaire à Bruxelles. Elle avait ri à son tour en l’écoutant et en compatissant.

Ça avait été si facile de parler avec elle. Alix, elle s’appelait Alix. Elle avait 32 ans et beaucoup d’humour, en plus d’être jolie. Il s’était senti joyeux en sa compagnie, vraiment joyeux. Et ça faisait longtemps que ça ne lui était pas arrivé.

Le trajet lui avait paru très court. Elle avait dit « Souhaitez-moi bonne chance pour ma réunion. », sur le quai à Paris. Et il avait répondu « Vaut mieux pas, ça porte malheur. Vous ne le saviez pas? ».

Elle avait souri puis, comme mue par une soudaine impulsion, elle s’était penchée vers lui et avait déposé une bise sur sa joue. Elle était partie à reculons en le regardant, souriante. Il avait alors levé deux doigts croisés. Elle lui avait fait un petit signe de la main puis s’était retournée et était partie d’un pas pressé.

Mais pourquoi n’avait-il rien fait? Pourquoi n’avait-il rien dit? Il aurait dû prendre son numéro, lui proposer de se revoir, de dîner…
Mais quel con! Quel con!
Il s’en était voulu dès qu’elle avait disparu dans la foule, quand il avait réalisé qu’il ne la reverrait sans doute jamais.

Défait, il avait fait quelques pas quand il avait senti qu’on lui tapotait l’épaule. Surpris, il s’était retourné et une jeune femme asiatique lui avait tendu une sorte d’écharpe fermée en laine écrue.
« C’est à votre femme, je crois », avait-elle dit. La phrase l’avait troublé. Il n’avait pas réfléchi. Il avait saisi l’objet, remercié, puis s’était éloigné.

Il l’avait emporté avec lui au bureau et n’y avait plus pensé. Le soir, en rentrant chez lui, il l’avait retrouvé dans son sac de voyage. Il avait alors repensé à Alix, au trajet en train, à leur discussion. Et il avait gardé le col. Au fil des jours, l’idée avait germé dans son esprit que ce col était un moyen de la revoir, le seul moyen peut-être. Si sa réunion se passait bien, elle reviendrait à Paris, elle le lui avait dit. Peut-être prendrait-elle le même train que la dernière fois?

Et donc, ce lundi-là, Alexandre était à la gare du Nord, à attendre le Thalys de 8h35, le col à la main.
Il aurait peut-être dû faire un paquet-cadeau? Ou venir avec des fleurs? Il regarda autour de lui, en quête d’un fleuriste, puis décida qu’un bouquet serait guindé voire ridicule. Il valait mieux rester sobre.

Il reporta son attention vers des pigeons qui se poursuivaient à quelques mètres de lui.

Serait-elle dans ce train? Il fallait qu’elle soit dans ce train. Il ne voulait pas croire qu’il put en être autrement. Il ne voulait pas en rester là, il voulait la revoir. Il voulait absolument la revoir.
Il s’était senti si bien avec elle. Depuis quand n’avait-il pas éprouvé cette… vitalité, cette sensation merveilleuse, en présence d’une femme? Depuis qu’Hélène était partie sans doute. Et peut-être même avant. Ca faisait deux ans maintenant qu’elle l’avait quitté. Deux ans déjà…

L’annonce qu’il attendait et redoutait en même temps survint enfin. Le Thalys en provenance de Bruxelles-Midi entrait en gare.

S’approchant du quai mentionné, Alexandre sentit son coeur battre plus vite et ses mains serrer compulsivement le col.
Il dévisagea les voyageurs qui passaient près de lui sans le voir.

Brusquement, il se trouva ridicule. Mais quelle midinette il faisait à attendre sur ce quai froid! Si elle était dans ce train, ce qui n’était pas sûr du tout, elle allait le voir et ne pas le reconnaître. Ou alors, elle allait le reconnaître mais ne pas s’arrêter.
Et si lui, de son côté, ne ressentait rien en la voyant?
Il ne voulait pas éprouver la déception de constater que le charme était rompu, qu’ils étaient redevenus des inconnus.

Il hésita, commença à envisager de porter le col aux objets trouvés, finalement. Il devait forcément y avoir un guichet pour cela dans une gare aussi grande.
La file de voyageurs s’amenuisait et son attente lui paraissait de plus en plus absurde mais il se sentait incapable de bouger, incapable de détacher son regard des passagers qui arrivaient encore du train.

Et puis il la vit.
Elle était descendue parmi les derniers et elle avançait d’un pas résolu, tirant une petite valisette à roulettes derrière elle. Elle ne l’aperçut que quand elle fut à quelques mètres de lui. Elle marqua un temps d’arrêt puis lui adressa un immense sourire qui lui dilata le coeur. Elle l’avait reconnu! Et ça semblait lui faire plaisir! Il se sentit transporté par une joie profonde.
Alix s’arrêta à deux pas de lui.
« Ah non, pas vous! C’est bien ma veine, ça! » dit-elle en souriant.
Il sourit en retour et levant la main droite, il lui montra son col.« Vous avez oublié ça, la semaine dernière. »

Baissant les yeux, elle le remercia, récupéra l’objet, se le passa autour du cou puis leva un regard timide vers lui: « Il m’a affreusement manqué ». Sans trop savoir pourquoi, Alexandre rougit à ces mots.
Et alors qu’elle acceptait sa proposition de prendre un café, l’idée le traversa qu’Alix avait peut-être fait exprès d’oublier son col dans le train.

6 thoughts on “Au début, il y avait un train…

  1. C’est superbe ce que tu écris ! Merci de partager ça avec nous… Et en lisant ton introduction, je mets des mots sur ce que j’ai ressenti moi aussi et qui m’a un peu troublée : qu’il est urgent de vivre ce qui est important pour nous et de faire sans attendre ce qui nous tient à cœur. Alors pour ça aussi merci ! 😉 Bises Tasticottine !

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