De ses propres ailes

Ah Coupine, c’est toi! Entre donc. On se prend un petit café ? Viens, allons dans la cuisine.

J’allais justement t’appeler tu sais. Parce que ça y est, ma petite dernière est partie. Aujourd’hui.

On a fait des photos, beaucoup de photos. On n’a jamais assez de souvenirs, tu sais, alors j’ai mitraillé. Ensuite, j’ai vérifié une fois encore qu’elle avait tout ce qu’il lui fallait, que je n’avais rien oublié.

Et puis le moment de se dire au-revoir est arrivé. Je n’ai pas pleuré hein, je ne voulais pas la plomber. D’autant que je ne m’en fais pas pour elle, je suis sûre qu’elle sera choyée. Tu aurais vu l’accueil que lui a réservé Chonchon ! Elle était si contente qu’elle en faisait des bonds. Ça ira bien, pour elle, j’en suis convaincue.

Non, tu vois, c’est au moment de la ranger dans l’armoire que j’ai eu comme un flottement. Je l’ai posée délicatement sur la pile des autres robes de Chonchon et j’ai été prise d’une drôle d’émotion.

Robe K – Livre « Les petites filles modèles » – Taille 4 ans sans modifications
Velours Liberty (« Tissus Anglais » – CSF 2014)
popeline à motifs (Brin de Cousette – 2017)
bouton nuage (Brin de Cousette – 2017)
passepoil rose irisé (Brin de Cousette – 2017)

Ce n’était pas juste de la tristesse ou de la peur. C’était plutôt une réticence, une anxiété qui a tiédi ma joie, un brouillard qui a émoussé mon enthousiasme.

Je sais bien que c’est normal d’éprouver ce genre de choses, c’est toujours difficile de lâcher ses petits dans le vaste monde. Surtout quand ils sont si petits.

Attends, je vais te chercher une photo. Regarde-moi ça si elle n’est pas à croquer cette robette avec ses petits volants (T’as vu le tiny-mini ourlet? Merci mon pied à ourlets étroits) (c’est mon pied chouchou, j’avoue) (tout ce qu’il fait est parfait). Taille 4 ans. Elle taille plutôt bien (même si j’ai dû allonger la fente au dos pour que la tête bien faite et manifestement bien pleine de ma cadette passe dans l’ouverture), Chonchon a 3 ans.

Adorable, non ?

Les petits vêtements sont si mignons, si attendrissants. C’est vraiment dur de s’en séparer.

Je me demande si c’est parce que je sors d’une longue série de vêtements pour adultes que cette robe me met dans cet état-là.

Parce que, tu vois coupine, je constate que je ne suis pas attachée de la même façon aux choses que je couds.

Un vêtement adulte, cousu dans un tissu adoré, à partir d’un patron longtemps couvé, ça me rend fière, c’est clair. Je l’estime voire je l’aime, je me félicite et parfois même, je m’aime à travers lui, s’il est bien coupé.  J’ai de grosses bouffées d’excitation et d’impatience pendant que je le couds et souvent, je frôle le bonheur, à la fin, lorsque je constate qu’il est comme je l’imaginais. Je me pâme et ça fait du bien.

Puis quand il quitte la Tasticottie pour rejoindre ma garde-robe, ce vêtement adulte quitte, peu de temps après, mes pensées. J’ai bien sûr beaucoup de plaisir à le mettre, je souris quand je le croise, les matins où je passe mon armoire en revue, comme on sourit à un ami qu’on croise par hasard et qu’on est content de voir. Mais il vit sa vie et moi la mienne.

Avec les vêtements pour bébés ou pour enfants, c’est différent. Ils m’inspirent de la tendresse en plus, tu vois ?

Ils se placent dans une catégorie spéciale. Ils sont chargés de l’histoire de leur conception, ils m’émeuvent.

L’an dernier, une petite fille est née dans la famille. En prévision de son arrivée, j’ai remonté de la cave mes caisses de vêtements « Naissance à 3 mois » et j’en ai trié le contenu pour déterminer ce que j’allais passer à ma belle-sœur.

Tu me croiras si tu veux, mais je n’ai pas retrouvé la chemisette en liberty que j’avais cousue en 2010 avant la naissance de Tchup ! Je n’ai pas non plus retrouvé le second chausson en velours mauve de l’ensemble que je lui avais patiemment tricoté et cousu !!

Ça m’a contrariée, mais d’une force ! Et ça continue à me contrarier, coupinette, profondément.

Je déteste perdre des choses, c’est vrai, mais là, ça va au-delà de ça. J’ai l’impression d’avoir perdu un souvenir précieux, tu vois. C’est comme si j’avais perdu les photos des premiers jours de Tchup, pour te situer le niveau d’amertume.

Moi qui n’avais jamais réfléchi à la question, j’ai découvert devant mes caisses que je tenais beaucoup à ces cousettes. Si je l’avais su à l’époque, je ne les aurais pas traitées par-dessus la jambe, j’aurais fait plus attention.

Je ne veux plus faire cette erreur. Je ne veux plus être négligente.

Cette petite robe K du livre japonais « Petites filles modèles » commence aujourd’hui sa vie au sommet d’une pile sur la troisième étagère de l’armoire de Chonchon et je ne veux pas la perdre de vue.

Je ne veux pas la perdre tout court.

Je ne veux pas l’oublier, puis perdre sa trace, comme celle du chemisier ou celle du chausson. Je veux pouvoir la prêter, quand elle sera trop petite pour Chonchon. Et puis la récupérer. Je veux la prêter à nouveau à d’autres petites filles mais qu’elle revienne à la maison ensuite, à chaque fois.

Je la considère comme étant à moi autant qu’à Chonchon au fond cette robe.

Elle a choisi le tissu, un velours Liberty acheté au salon CSF l’année de sa naissance, je crois (je l’avais d’ailleurs emmenée, elle avait à peine un mois et elle avait dormi toute la matinée, blottie dans mon écharpe de portage). De mon côté, j’ai choisi le modèle (que Chonchon a distraitement validé), le passepoil et le bouton-nuage au dos.

Je la vois mienne, cette robette et pourtant, je ne veux pas l’enfermer. Bien au contraire. Je lui souhaite d’être beaucoup portée. J’espère qu’elle sera adorée.

J’espère qu’en lui ajoutant un passepoil brillant et en lui enlevant sa large ceinture overgnangnan, je lui ai donné les atouts qu’il faut pour réussir sa vie. J’espère qu’elle sera toujours à la mode, intemporelle.

J’espère qu’elle aura un bel avenir. J’espère que Chonchon la portera souvent. J’espère qu’elle deviendra robe de fête, robe de princesse ou mieux encore, robe de tous les jours parce robe préférée.

J’espère qu’elle deviendra une robe de famille, qu’elle passera d’une sœur à une cousine puis qu’elle vêtira une petite fille de la génération suivante. Ou 2, ou 3.

J’espère qu’elle sera toujours associée à de la joie, à des bonbons, à des tours de manèges et à des rires, à des danses improvisées et à des courses échevelées. J’espère qu’elle durera longtemps, très longtemps. Et qu’à chaque fois que le la reverrai, je penserai à ce moment où je l’ai pliée pour la ranger dans les affaires de Chonchon, en formulant tous ces espoirs pour elle.

Bon, je plombe un peu l’ambiance là, nan ? Pour un peu on écraserait une larmichette, hein ?

Mais bon, que veux-tu, ça fait toujours tout drôle quand les petits quittent le nid, tu ne trouves pas ?

Mince, le café est froid maintenant.

Je t’en refais un autre ?

 

39 thoughts on “De ses propres ailes

  1. Elle est magnifique cette robe K ! J’ai le même livre, et c’est vrai qu’avec sa ceinture, elle ne me faisait pas franchement de l’oeil, cette robe… Mais votre interprétation est super, le tissu juste magnifique, je pense que je vais refaire un tour dans ma pile de tissus, voir s’il y en a un qui ferait tilt avec cette robe ! La mienne sera un peu plus grande, poussinette a 4 ans.
    J’en profite pour vous dire un grand merci pour les tissus achetés l’an dernier, dans lesquels j’ai réalisé le bloomer m du même livre (lin bleu), ce qu’il est craquant !!! et le pantacourt v (lin noir), sympa aussi. Amitiés.

    1. Merci beaucoup Kiki14! Ca me fait très plaisir que vous passiez par là.
      Et oui, je ne saurais trop vous recommander de feuilleter votre livre, il est plein de pépites!

  2. Tjs un plaisir de te lire !
    Oui moi aussi j’ai ce sentiment avec les vetements de ma fille et j’ai regrette un temps de ne pas avoir une 2eme fille pour lui remettre ces cousettes dans lesquelles j’ai mis tout mon amour. Mais c’est aussi un plaisir car une bonne excuse pour se mettre au cousette au masculin !
    En tout cas elle est superbe cette robe et j’espère qu’elle sera adorée par les petites filles qui la porteront !
    Marion

  3. Bonjour,
    Comme il est toujours très agréable de vous lire, c’est un régal.
    Toutes vos coutures sont un enchantement vos réalisations sont magnifiques et cette robe
    ne déroge pas à la règle. Bonne continuation et au plaisir de vous lire très rapidement.

  4. Elle est très jolie cette petite robe, et j’espère que ta fille l’aimera autant que toi et qu’elle puisse la porter très très souvent.
    C’est toujours un grand plaisir de te lire, tu as vraiment un don… Faudrait peut-être l’exploiter!!!!!
    Belle journée et bisous du sud de la Belgique

    1. Merci chère compatriote! (eh oui, Nicole, je suis belge aussi!!!!!)
      Figure-toi que poussée par mon aimé, je me suis inscrite à un atelier d’écriture. Car autant je ne peux pas ne pas écrire, autant c’est un processus laborieux chez moi. Qui sait, peut-être que le mouvement d’écrire s’allègera bientôt et que nous nous rencontrerons plus souvent, bien plus souvent ici?
      En attendant merci encore de passer me lire, Nicole!
      Bises

  5. Merci pour le café ! Si je vous dis que moi aussi j’ai gardé les bracelets de la maternité, les brassières et autres petites choses …. C’est comme ça, c’est plus fort que moi et pourtant ils ont plus de 20 ans ….
    A très bientôt le plaisir de vous lire, ce n’est plus si souvent !!

    1. Eh bien ça me touche Jacinthe. Moi aussi, j’ai gardé les bracelets et certaines brassières. Pour que tous les souvenirs ne reposent pas uniquement sur ma mémoire (ça me paraît risqué). Pour les donner à mes filles, plus tard, au moment opportun. Et pour leur raconter un peu comment c’était quand elles sont nées et quand elles étaient petites; Ca m’a manqué à moi, ma mère ne l’a hélas pas assez fait…

    1. 😀
      Merci Val!
      Chonchon l’adore. Et c’est un fait assez rare, cette adhésion immédiate chez elle. A tous les coups, il va neiger demain.

  6. Quel bel article ! Merci beaucoup Tasticottine. Je couds pour ma petite fille, en tant que Oma Fanfreluche et je viens de terminer une petite robe très similaire à la tienne, pour lui fêter son anniversaire de 1 an. J’ai adoré la coudre et j’attendais avec impatience qu’elle puisse la porter. C’est en lisant ton article que j’ai compris un peu mieux les émotions qui m’animaient. Tu as su mettre tous les mots sur des pensées inconscientes et pourtant si présentes dans mon esprit. Ta cousette est parfaite et ta petite Chonchon est à croquer. A bientôt pour de nouvelles aventures.

    1. Merci beaucoup beaucoup Fanfreluche! Tes mots me transportent de joie. Comme quoi les miens servent à quelque chose.
      Alors? Ta petite fille a aimée ta robe? Je te demande ça mais quelque chose me dit que oui…

  7. Ça me parle ton affaire. Pour moi ça n’a pas été facile d’être maman au début, mais quand j’ai vu l’enfant dans le vêtement, le vêtement sur l’enfant, il y a quelque chose qui s’est passé et qui m’a chamboulé. C’était un petit t shirt tout bancal avec une patte de boutonnage farfelue (ma première), c’était un bébé qui ne dormait jamais er pleurait tout le temps (mon premier). Je donnerai toutes mes cousetted suivantes pour ce t shirt sans hésiter. Même mon quart coat, oui oui.

    1. Carrément ton Quart Coat? Tu y tiens donc à mort à ce teesh de guinguois. J’ai envie de dire que c’est à cause de tout l’amour pour Petit Dodu que tu as mis dedans, mais j’ai peur de paraître gnangnan. 🙂

  8. La larmichette n’est pas loin !
    Mais qu’ai-je bien pu faire de la jolie petite chemise en Liberty que j’avais cousue à mon fils ? Et la robe en soie jaune paille de ma fille, celle qu’elle portait au mariage de ma sœur ?
    Que je suis sotte de les avoir perdus….
    (Mes jupes, robes et chemisiers, je m’en fiche. )
    Merci d’avoir si joliment exprimé et expliqué ces légers tourments qui parfois nous effleurent.

  9. T’aurais pas un thé plutot? Moi j’ai un pull comme ça que j’ai fait il y a trés longtemps à mon petit garcon qui était malade, il en revait de ce pull et moi j’avais pas trop envie et là quand sur son lit d’hopital j’ai vidé les pelotes il a souri et là je me suis senti comme te dire Tasticotine la plus merveilleuse des mamans, non je te rassure l’histoire finit bien et mon petit garcon a eu 40 ans en septembre dernier, et le pull? Je te le dis mon secret? Il est plié dans mon tiroir….

    1. Génial! Merci infiniment d’avoir partagé ce souvenir avec moi Lorence. Ca me touche beaucoup.
      Et j’avoue que j’ai retenu mon souffle en attendant de savoir si ton fils s’en était sorti.
      Allez, pour la peine je te fais un thé! Earl Grey? Thé vert? Tu préfères quoi?

    1. Merci Ziglyet!
      Quand Chonchon est née, ma belle-mère m’a prêté une salopette tricotée par sa mère à elle pour sa dernière fille (qui me dépasse de 2 bonnes têtes, maintenant qu’elle a 36 ans). Je ne sais pas comment qualifier ce que j’ai ressenti en apprenant l’origine de cette salopette mais c’était un sentiment très doux et sécurisant. J’espère ressentir ça à nouveau avec cette robette.

  10. C’est ce que je ressent aussi pour les vêtements que je couds pour mes enfants. Ton article me parle beaucoup, il y a un investissement particulier pour ces petits habits-là, de les imaginer, de les réaliser, puis les voir prendre mouvement et vie. J’ai eu du mal même à les prêter ces petits vêtements-là, et tant ils étaient empreints de la personnalité de leur petit propriétaire. Maintenant au contraire j’aime les voir sur d’autres, pour vivre une nouvelle vie.

    1. C’est vrai que c’est difficile de se défaire de ces « premiers vêtements » qu’on a conçu pour ses enfants, Viguialca. Et c’est vrai que de les voir circuler fait du bien aussi. Mes enfants étaient les dernières de la famille. Et maintenant que la petite cousinette est née, je mesure le plaisir que j’ai à la voir porter des vêtements que mes enfants ont portés aussi. J’éprouve un bouquet d’émotions positives. c’est un cadeau qu’on se fait à soi-même, au fond, de coudre des vêtements d’enfants. On va s’en nourrir longtemps…

  11. La même… Ça va au-delà de ça, je trouve. Je serai capable d’aller fouiller chez quelqu’un si il ne me rendait pas le petit vêtement. Et limite je tiens à ces petites choses plus qu’à ceux qui les porte 😉 Enfin non, pas tant que ça. Par contre, gare à celui/celle qui l’abîme au bout d’une semaine. Il risque de finir au piquet…

    1. Loool! Comme je te comprends! C’est clair que vu le temps passé dessus, pas question de se le faire escamoter ou abîmer, fut-ce par la chair de ma chair! Faut pas pousser non plus!

  12. C’est toujours un vrai plaisir de lire vos si jolis mots!
    Je suis d’accord avec vous: j’espère toujours que les coutures offertes dureront « longtemps » et me seront prêtées lorsque ce sera mon tour d’avoir des enfants puis je les rendrais, sûrement
    Au plaisir de vous lire !

    1. Merci beaucoup Mathilde!
      Je vous souhaite vraiment que ceux à qui vous offrez des vêtements cousus main (vous êtes drôlement sympa, soit dit en passant) mesurent leur chance et qu’en effet, ils vous les prêteront, préservés, quand vous aurez des enfants vous aussi.
      A très bientôt!

  13. Merci encore pour ce café (que j’ai accompagné d’un thé) et ces quelques moments choisis… un peu blue mais tellement vrai et si bien écrit…
    Un peu de gâteau ?

  14. Très très belle robette, si pleine de poésie (mais comme tout ce que tu fais).
    Moi aussi, j’ai dans un tiroir un petit pull fait il y a une vingtaine d’années pour mon 2e, fait spécialement pour lui et lui correspondant en tous points (qui m’est d’autant plus cher aujourd’hui), et qui a passé à sa sœur il y a quelques années.

    1. Tu sais AstérOïde, je me demande si ce ne sont pas les vrais trésors familiaux, ces petits ouvrages qu’on garde précieusement. Ils portent une partie de notre histoire, ils disent le lien, l’amour qu’on a pour le destinataire, ils relient les enfants entre eux. Plus j’y pense, plus je les trouve précieux. Et je me dis qu’au-delà de tout le reste, ce pull sera un témoignage de ce que tu as ressenti pour ton fils au moment où tu l’as tricoté.

  15. Oh oui ici aussi !! Les vêtements des petits sont rangés. Pas de couture maison (à l’époque, la couture était rangée au fond d’un tiroir poussiereux, totalement oublié,près d’autres souvenirs de mon enfance et adolescence..). On a un peu triché ici, et utilisé le même pyj fétiche pour rentrer de la mat…
    Puis on a gardé plus de trucs de Grande Ginette que d’Hurlu et Berlu. Un peu comme pour les photos..

    Si on repasse côté couture, encore une fois, c’est une merveille !!! Le passepoil brillant, tu as raison, c’est the touch !!
    Elle deviendra, c’est certain, un classique familial !!

    1. C’est tout ce que je lui souhaite Edwige!
      Allez viens, je t’offre un autre café, pour que tu me parles de Grande Ginette, d’Hurlu et Berlu.
      Bises!

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