La crête du coq (#1)
Alexandre scruta une fois de plus le trottoir par la vitre du café.
Nadine était en retard. Sacrément en retard, même.
Il sortit son téléphone de la poche intérieure de sa veste. Pas de message.
Mais qu’est-ce qu’elle foutait, bon sang ?
Alexandre posa son téléphone sur la table, souleva la tasse posée devant lui et but une gorgée qu’il faillit recracher aussitôt. Son café était froid.
Il jeta un coup d’œil autour de lui et leva le doigt pour attirer l’attention du serveur. Après avoir commandé un autre café, il se remit à guetter sa sœur.
Il faisait beau ce matin. Les reflets du soleil sur le métro aérien qui passait attirèrent son regard et il leva les yeux. Le ciel était d’un bleu limpide, sans un nuage. Il semblait s’être débarrassé, dans la nuit, de toute l’eau qu’il charriait.
La veille, Alexandre était arrivé trempé jusqu’aux os à l’Institut de Cardiologie. Le taxi l’avait bien déposé devant l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, mais à l’entrée côté boulevard de l’Hôpital, à l’opposé de l’Institut. Il s’était perdu dans le dédale de bâtiments gris et avait été copieusement saucé avant d’arriver dans le service où son père était hospitalisé.
Infarctus du myocarde.
Son père avait fait une crise cardiaque et s’était effondré dans ses harengs-pommes à l’huile, en plein milieu d’une brasserie parisienne.
Alexandre fronça les sourcils. Il ne savait même pas que son père était à Paris.
Il saisit sa tasse et but une gorgée de café chaud. Il grimaça de nouveau, il avait oublié de le sucrer. Il saisit les deux sachets posés sur la soucoupe, les déchira en même temps et les vida dans sa tasse. Puis il se mit à touiller le breuvage en regardant à nouveau dehors.
Un couple étudiait la carte placardée à l’entrée du café. Il se demanda un instant qui pouvait étudier la carte du déjeuner si tôt le matin. Il n’était que 9h20. Des touristes, peut-être? Mais qu’y avait-il à voir dans le coin ? La bibliothèque François Mitterrand? Cette horreur ? Il se demanda si elle figurait dans les guides touristiques et s’il se trouvait des fous pour avoir envie de visiter ce non-sens architectural.
Le couple s’éloigna et Alexandre se remit à trépigner en attendant Nadine.
Mais où était-elle donc ? Ca faisait 35 minutes qu’il poireautait quand même !
Il pourrait y aller tout seul, après tout. Elle n’aurait qu’à le rejoindre directement là-bas.
Il pourrait. Mais il n’en avait pas envie. Pas du tout. Il n’avait pas du tout envie de se retrouver seul avec leur père.
En présence de son père, Alexandre se sentait inconsistant, comme un figurant sans intérêt, un quasi-fantôme.
Enfant, il l’avait admiré. Adolescent, il l’avait haï. Et puis, grâce à une phrase entendue dans un mauvais film, il avait fini par comprendre.
Il ne peut pas y avoir deux coqs dans la même basse-cour.
Et dans sa famille, le coq, c’était son père. Il prenait toute la place, ce coq qui n’en avait que pour ses propres plumes et voyait à peine son entourage. C’était un égocentrique qui les avait quittés quasiment du jour au lendemain, sa mère, sa sœur et lui. Il avait douze ans et Nadine quinze. La crise de la quarantaine avait dit sa mère, résignée.
Son père avait abandonné Paris, son cabinet médical, sa femme et ses enfants, pour aller vivre dans une ferme à Graveson, près d’Avignon, où il prétendait se consacrer à la peinture, entre deux aventures tumultueuses avec des jeunettes du coin.
Peintre ! N’importe quoi ! Alexandre trouvait cela ridicule. Nadine, au contraire, louait sans arrêt le soi-disant talent de leur père. Pas étonnant, vu qu’elle l’adorait.
Avec le temps, Alexandre avait compris qu’il n’obtiendrait jamais ce qu’il voulait, ce qu’il avait espéré si fort, lors du divorce de ses parents. Son père ne s’intéresserait jamais à lui.
L’espoir évanoui, il ne lui restait que la colère, une colère sourde qui ne s’était jamais apaisée. Il savait que cette colère le protégeait de quelque chose. Quelque chose qu’il avait senti bouger tout au fond de lui, la veille, quand il avait entendu le message bouleversé de Nadine en rentrant chez lui: « Alexandre…Papa est aux urgences à la Pitié-Salpêtrière. Il a eu… Il a eu un malaise… Je suis en chemin, je t’attends là-bas. »
Ce quelque chose l’avait fait paniquer. Un malaise? Quel genre de malaise? Leur père avait 64 ans. A 64 ans, le mot « malaise » était forcément un euphémisme, non?
Il s’était rué hors de l’appartement et avait sauté dans un taxi.
Ce quelque chose, il l’avait encore perçu quand, arrivé aux urgences cardio, il avait demandé à sa sœur: « Tu savais, toi, qu’il était à Paris? » et qu’elle avait répondu « Oui, il est passé à la maison, hier. »
Ce quelque chose, il le savait, pouvait le déborder, le submerger, l’emporter, même, s’il allait voir son père seul. Et il ne voulait pas. Son père n’en valait pas la peine. C’était ce qu’il avait dit à Alix quand elle lui avait proposé de rebrousser chemin, la veille, au téléphone. Il lui avait dit de rester à Bruxelles. Son père ne valait vraiment pas la peine qu’elle annule sa réunion de ce matin. Vraiment pas.
Il regrettait un peu, maintenant. Alix lui manquait. Terriblement. Il était content de savoir qu’elle rentrait dans la soirée. Il avait hâte d’être avec elle, de la serrer contre lui et de tourner le dos à tout ça.
A suivre…
Prems !
Ahlala ! Que j’aime ses histoires qui se croisent ! C’est un régal 🙂
Vivement la suite.
mmmmmh toujours aussi délicieux 🙂
Je suis ravie de te régaler Merlinette! La suite demain! 🙂
Merci Aïda! Ca me motive pour la suite. 🙂
et je suis toujours aussi vite emportée par cette lecture, j’en redemande 🙂
Cela me touche partticulièrement comme texte….
Je trouve que cette manière que tu as de lui faire tourner la tête vers le futur et vers cette femme qu’il l’aime et très positive …hâte de lire la suite comme toujours ..mais j’espère qu’il pourra la laisser sortir sa colère ….:)
Viv’ment demain!
T’es sûre qu’on n’est pas déjà demain?
Tic tac tic tac….. Allez vite vite demain!!!
rooooooooooooooo… elle est pas si vilaine la BNF ^^