La France rêvée (#1)

Il y avait du monde sur le quai à Châtelet. Amina ramassa le paquet qu’elle avait posé à ses pieds et se leva de son strapontin.

Elle était fatiguée et avait hâte de rentrer. Elle s’était sentie vaguement abattue toute la journée. Sa mère lui manquait.

Elle farfouilla dans le paquet qu’elle avait récupéré le matin à la Poste et esquissa un sourire. Elle avait parlé des rhumes à répétition de Lucile à sa mère, au téléphone, quelques semaines plus tôt. Et sa chère maman lui avait envoyé de Dakar une couverture pour sa fille. Une jolie couverture toute douce avec un côté en wax et un côté beige duveteux. Elle avait joint à son colis un pot de beurre de karité et un coupon du même wax que la couverture pour Amina.

Sa chère maman. Elle n’avait pas pu venir à la naissance de Lucile, sa demande de visa ayant été refusée. Amina sentit la boule qui l’avait accompagnée toute la journée se reformer dans sa gorge et serra les lèvres. Elle se souvenait de son immense détresse lorsqu’elle avait appris que sa mère ne pourrait être à ses côtés alors qu’elle avait tant besoin d’elle.

Elle s’était sentie si seule, si désespérément seule, malgré l’attention dont l’avait entourée Lucas, qu’elle avait passé les premières semaines de sa vie de maman dans une tristesse épaisse, pleurant tous les jours. Sans Lucile, son trésor, son amour de fille, elle n’aurait pas survécu à cette période, elle en était intimement convaincue.

Cité. Une personne descendit et cinq autres montèrent dans le wagon bondé. Amina, coincée contre deux voyageurs, sentit ses jambes s’engourdir. Elle avait chaud et commençait à se sentir mal. Elle se tourna sur le côté, faisant face à la vitre qui donnait sur les rails et put respirer un peu plus à son aise.

Lorsqu’elle était tombée enceinte, elle avait cru que les choses allaient changer, que la grisaille allait s’estomper et qu’enfin, elle se sentirait bien dans ce pays qu’elle avait pris pour le paradis, dans cette ville dont elle avait tant rêvé.

La France. Paris. La ville lumière.

Les belles vitrines, les monuments, les péniches sur la Seine, le calme dans les rues, les belles voitures, l’élégance des parisiennes, tout l’avait éblouie quand elle était arrivée. Elle s’était extasiée, courant d’un endroit à l’autre, agrippant la manche de son mari et montrant du doigt ce qui l’émerveillait tant. Lucas était joyeux de la voir si heureuse, il lui avait montré les quartiers de Paris qu’il préférait et l’avait embrassée sur ses ponts préférés. La vie, sa vie lui avait alors parue magique, parfaite.

Et puis, peu à peu, tout s’était éteint, son bonheur s’était fissuré et la tristesse l’avait envahie.

Les tracasseries administratives, d’abord, lui avait donné cette sensation désagréable et aiguë d’être une étrangère avant tout. Les petites et grandes humiliations à la préfecture avaient balafré sa vie rêvée, usé son enthousiasme et tiédi ses sourires.

Ensuite, il y avait eu les gens. Leurs regards méfiants et leurs visages fermés qui l’avaient désarçonnée. Elle ne comprenait pas cette subtile animosité, elle ne voyait pas ce qu’on lui reprochait. Et puis elle avait entendu les murmures, capté les regards en coin et remarqué les sourires crispés que les amis de Lucas lui adressaient lorsqu’ils la voyaient. Elle avait finalement saisi. Ils pensaient qu’elle s’était mariée par intérêt, qu’elle voulait juste des papiers français. A l’instar de sa belle-mère et de ses belles-sœurs, ils pensaient qu’elle n’était qu’une arriviste, une hypocrite qui quitterait son mari sitôt la nationalité française acquise. Ils n’avaient pas cru qu’elle était sincèrement amoureuse de Lucas, ils l’avaient jugée et condamnée avant même de la connaître, avant même de la voir. Ils ne lui avaient laissé aucune chance.

Ca lui avait fait mal quand elle avait réalisé cela, terriblement mal. Et elle s’était peu à peu recroquevillée sur elle-même, fermant son visage en retour et refusant tout contact.

Le métro s’arrêta dans un tunnel. Une voix annonça qu’une rame était à quai à Saint-Michel et qu’ils attendaient qu’elle quitte la station avant de redémarrer.

Amina poussa un soupir. Au fond, sa vie était à l’image de ce qu’elle subissait dans le métro. Elle y était mal, à l’étroit, bousculée et impuissante.

Elle s’était réfugiée dans sa relation avec Lucas. Partout ou presque, elle se heurtait à des murs. Et elle avait fini par ne pratiquement plus quitter l’appartement sans son mari, craignant absurdement d’être huée, prise à partie et agressée par une foule hostile si elle osait sortir seule. Elle était devenue totalement dépendante de Lucas. Elle détestait le moment où il partait travailler et passait ses journées à attendre son retour.

Elle avait essayé de s’en accommoder au début.
Elle avait pensé que tant qu’elle serait avec Lucas, elle saurait se passer du reste. Lucas qui l’aimait, Lucas qui la choyait, Lucas qui l’écoutait, l’épaulait, l’accompagnait, la défendait. Lucas était tout pour elle et elle avait pensé qu’il lui suffirait. Elle avait espéré qu’il lui suffirait.
Et puis elle avait dû s’avouer que non, Lucas ne lui suffisait pas.

Le métro arriva enfin à Saint-Michel. Saisissant son paquet et agrippant son sac, Amina se fraya un chemin vers la porte et atterrit sur le quai au moment où la sonnerie de la rame retentissait. Elle avait décidé de finir son chemin à pied, elle avait besoin d’air.

Elle remonta à l’air libre et prit la rue Danton. Elle ramena les pans de son écharpe devant sa poitrine et pressa le pas. La nuit tombait et elle avait vraiment hâte d’arriver chez elle.

Elle n’aimait pas le quartier, le sixième arrondissement l’intimidait avec ses beaux immeubles, ses trottoirs larges et ses passants fortunés. Elle préférait le 18e arrondissement, plus populaire et dans lequel elle passait inaperçue avec sa carnation foncée et ses longues tresses noires.

Mais Lucas et elle ne payaient pas de loyer. La tante de Lucas, la seule de sa famille qui avait fait le déplacement jusqu’au Sénégal pour assister à leur mariage, leur avait offert, en cadeau, la jouissance de ce bel appartement au deuxième étage d’un immeuble bourgeois en plein cœur de Paris.
Elle s’était attiré les foudres de la mère de Lucas pour ce geste. Amina avait entendu dire qu’elles s’étaient violemment querellées à ce sujet, sa belle-mère considérant ce cadeau comme une trahison.

Amina n’avait vu sa belle-mère qu’à deux occasions, Lucas ayant réussi à la faire venir en la menaçant de couper les ponts. Elle avait donc rencontré sa petite-fille lorsque Lucile avait trois mois et elle était revenue à son premier anniversaire.

Elle avait apporté des cadeaux pour Lucile et elle l’avait cajolée, lui trouvant une ressemblance stupéfiante avec Lucas, mais elle avait été à peine polie avec Amina. En tout et pour tout, à chaque fois, elle ne lui avait dit que « bonjour » et « au revoir », ignorant les tentatives d’Amina pour engager la conversation et ne s’adressant qu’à Lucas et à Lucile.

A suivre…

9 thoughts on “La France rêvée (#1)

  1. Je sais bien, chère Gab, je sais bien… Mais qui sait, peut-être qu’elle finira bien? 🙂

    Mais oui mais chère Dodie dodue, mes posts seraient longs comme le bras si je publiais chaque histoire d’un coup d’un seul… La suite arrive, tranquillise-toi.

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