La Jupe

IMG_1747Jupe Robyn – Magazine La Maison Victor Nov / Dec 2015
Velours bleu-vert canard (au choix) de mon stock – Boutons étoiles de chez Brin de Cousette

– Mathilde, dans le grenier, j’ai retrouvé une jupe que j’aimerais garder.

– On ne pourrait pas voir ça demain ?
Je suis complètement vannée là. J’allais me coucher.

– Oui, bien sûr. Parlons-en demain.
Bonne nuit Mathilde.

– Attends, dans le grenier ? Tu es montée au grenier ?
Mais on avait dit qu’on inventoriait la maison en commençant
par le rez-de-chaussée et on n’a même pas fini la cuisine !

– Je suis juste allée jeter un coup d’œil
pendant la pause de l’après-midi

– Pourquoi le grenier ? Qu’est-ce que tu es allée faire dans le grenier ?
Tu as pris des trucs ? Charlotte, tu essaies de me doubler ?

– Non mais arrête un peu avec ta parano !
J’avais oublié à quel point tu pouvais être pénible !

– N’essaie pas de noyer le poisson !
Qu’est-ce que tu es allée faire dans le grenier ?

– Ecoute, ça fait au moins quinze ans
que je ne suis pas revenue dans la maison.
Ca m’a remuée d’y remettre les pieds.
Alors j’ai visité. C’est normal, non ?

– Ca fait un bail que je ne suis pas revenue non plus.
Je n’ai pas fureté partout pour autant.
On a dit qu’on commençait par le bas,
j’ai commencé par le bas et j’y suis restée !

– T’as toujours été psychorigide, Mathilde.

– C’est ça, insulte-moi !
En attendant, tu n’as toujours pas répondu à ma question.
QU’EST-CE QUE TU FOUTAIS AU GRENIER ????

– Je voulais retrouver mes souvenirs d’enfance.
Je savais que Maman avait rangé nos affaires dans des malles au grenier,
j’y suis allée, voilà tout !

– Et donc tu as fouillé les malles ?

– Je n’ai pas fouillé.
J’en ai ouvert une ou deux, pour voir ce qu’elles contenaient.
Et j’ai retrouvé ma jupe !

– Quelle jupe ?

– Ma jupe verte en velours. J’ai pris une photo pour te montrer.
Regarde !

IMG_1888J’ai totalement flashé sur cette jupe quand j’ai croisé le magazine. Je l’ai acheté juste pour cette jupe, à vrai dire. Et je n’ai pas eu trop à faire pour convaincre ma Tchupinette, très vite séduite, elle aussi (rapport aux poches, je pense).

– Tu te fous de moi là ?

– Quoi ?

– Elle est bleu canard et pas verte, cette jupe.
Je le sais bien puisque c’est MA jupe !
Celle que j’ai faite avec Maman quand j’avais 5 ans !

– Mathilde, tu délires !
Cette jupe est verte!
Et JE l’ai confectionnée avec Maman quand J’avais 5 ans et demi.
Je me rappelle très bien qu’on l’a faite ensemble.
J’ai décalqué le patron, j’ai choisi le tissu et les boutons !
Je l’ai même aidée à coudre à la machine !

– Tu mens Charlotte.

– Quoi ??

– Cette jupe, on l’a faite à l’automne 2015, Maman et moi.
Tu n’étais pas là, tu étais chez Mamie et c’était justement pour me consoler
de ne pas y être allée que Maman m’a proposé
qu’on couse quelque chose pour moi toutes les deux.
C’est ma jupe, Charlotte.

– Alors là Mathilde, je m’inquiète sérieusement pour ta santé mentale.
Maman n’est malheureusement plus là pour me donner raison mais cette jupe,
je la reconnaîtrais entre mille. C’est ma jupe, je suis sûre de ce que je dis !
Faut te faire soigner ma pauvre.

– Attention à ce que tu écris, Charlotte !

– T’as toujours été jalouse de moi parce que j’étais la préférée de Maman.
T’as toujours voulu tout me prendre.
Mes poupées, mes fringues, mes amis et même mes mecs.
Mais cette jupe-là, tu ne l’auras pas.
Tu ne va pas me prendre mes souvenirs en plus du reste !
Je ne te laisserai pas faire !

– La préférée de Maman. Tu es pathétique, Charlotte.
Tu n’as pas changé d’un iota, hein ? T’es toujours aussi conne en fait.

– C’est ça, balance donc ton venin, vipère va !
Balance tant que tu veux. Mais ce qui est à moi est à moi. Un point c’est tout !

– C’est moi qui ai les clés de la maison, Charlotte.

– Ouais. Et donc ?

– Et donc si je veux, dans 5 minutes, je suis de retour dans la maison.
Dans 6 minutes, je suis dans le grenier.
Et dans 7 minutes, la jupe, j’en fais ce que je veux.

– Tu n’oserais pas ! J’aurais dû la prendre sans t’en parler tiens !
J’aurais dû me douter que tu me ferais un de tes coups tordus !
J’ai voulu être réglo avec toi, j’ai eu bien tort !

– Je peux la brûler.

– Tu vois ? tu vois ? Si c’était ta jupe, tu ne songerais même pas à l’abîmer !

– Ou alors je peux la lacérer…

– Mais pourquoi tu fais ça, Mathilde ?
Qu’est-ce que je t’ai fait pour que tu me détestes comme ça, à la fin ?

– Au fait, tu te souviens s’il y avait de la javel, dans la cuisine ?

– Mathilde, tu es une grande malade, tu sais ?

– C’est moi la malade ?
Tu m’envoies des sms à une heure du matin
pour une jupe cousue il y a 25 ans et c’est moi la malade ?
Une jupe que J’AI cousue avec Maman, en plus ?
Vas-y redis-moi qui de nous deux est la plus atteinte au juste !

– Tu déformes tout là Mathilde. Ecoute, tu as raison.
Je n’aurais pas dû t’envoyer ces messages.
Il est tard, on est toutes les deux chamboulées par le décès de Maman,
on a besoin de repos. Parlons-en au calme demain, c’est mieux. Bonne nuit.

– Trop tard. Je vais chercher la jupe.

– Mathilde ! Arrête maintenant ! Je t’ai dit que j’étais désolée !

– Non, tu ne l’as pas dit.
Ce qui a de bien avec les sms, c’est qu’il y a une trace écrite.
Tu as dit que j’avais raison, que tu n’aurais pas dû m’envoyer ces messages
mais tu n’as pas dit que tu étais désolée.
Et nous savons toutes les deux que c’est parce que tu ne l’es pas.
Tu cherches juste à m’enfumer pour me piquer la jupe demain à la première heure.

– N’importe quoi ! Mais alors là, n’importe quoi !
Ecoute, on ne va pas recommencer.
Je te présente mes plus plates excuses.
Allons dormir. Réglons ça demain matin. Ca va mieux comme ça ?

– Non, ça ne va pas mieux.
Je vais chercher la jupe pour la mettre en lieu sûr.

– Ok, je m’habille et j’y vais.
J’y serai avant toi, mon hôtel est plus près.

– Et tu vas entrer comment au juste ?

– Tu crois vraiment qu’il n’y a qu’avec une clé
qu’on peut entrer dans une maison ?

– Au cas où tu songerais à entrer par effraction,
j’espère, chère Charlotte, que tu connais le code de l’alarme ?

– …

– Tu savais qu’il y avait une alarme, n’est-ce pas ?

– Tu bluffes.

– La préférée de Maman, hein ?
Elle l’a fait installer il y a huit ans, quand Papa est tombé malade.
Elle avait peur toute seule dans cette grande maison.
Elle ne te l’avait pas dit ? Waow. Vous étiez vraiment proches, hein ?

– Mathilde, cette jupe est réellement importante pour moi.
Elle représente mes jours heureux avec Maman,
quand tout était serein et simple.
Je te donnerai ce que tu veux en échange,
mais s’il te plaît, laisse-la moi. S’il te plaît.

– Je veux le vaisselier du séjour.

– D’accord

– Et l’argenterie complète

– Heu…

– Complète.

– Ok.

– Et la bague de fiançailles de Maman.

– Tu pousses un peu là, non ?

– Et aussi ses perles. Et ses boucles d’oreille en cristal.
Sa coiffeuse, son peigne et sa brosse en argent.
Et puis le service en porcelaine qu’elle avait ramené de Tchécoslovaquie.
Pour commencer.

– Non mais ça va pas non ?

– Relis-toi.
Tu as dit, non tu as ECRIT que tu me donnerais ce que je veux en échange.
Estime-toi heureuse que je ne prenne pas TOUT le reste !

– Tu délires Mathilde ! Il n’est pas question que je te cède tout ça !

– Ok. Bonne nuit Charlotte.

– Qu’est-ce que tu vas faire ?

– Mathilde ? Réponds-moi ! Qu’estce que tu vas faire ?

– MATHILDE !!!

– Bon ça va, tu as gagné, tu peux prendre tout ce tu as listé plus haut.

– Tu t’engages à ne pas revenir dessus ?

– Oui.

– Ecris-le.

– Quoi ?

– Ecris-le noir sur blanc.
Ecris que tu es d’accord pour que je prenne le vaisselier,
l’argenterie complète, la bague de fiançailles de Maman,
ses perles, ses boucles d’oreille en cristal,
sa coiffeuse, son peigne en argent, sa brosse en argent
et le service en porcelaine qu’elle avait ramené de Tchécoslovaquie.
Ecris aussi qu’en dehors de ça, on partage tout dans la maison.

– T’es vraiment perchée Mathilde, tu le sais ?

– Ajoute qu’en échange, je te donne la jupe.

– Ok, ok, je l’écrirai demain.

– Non maintenant ! Et tu dates et tu signes.
Puis tu m’envoies une photo sur mon téléphone
pour que je voie que tu l’as bien fait.

– Alors ? Ca y est ?

– Oui, voilà la photo. T’es contente ?

– Maintenant, tu descends déposer la lettre à l’accueil.
Je veux que le réceptionniste signe lui aussi.
Tu m’envoies une photo de la lettre signée et tu la lui laisses.
Je viendrai la chercher demain.

– C’est quoi ces méthodes de mafieuse ? Tu te crois dans un film ou quoi ?
J’ai écrit la lettre, je suis crevée, je vais me coucher.
Je te la file demain et tu iras toi-même
la faire signer par qui tu veux, je m’en contrefous.

– Non, tu vas descendre à l’accueil.
Tu sais pourquoi ?
Regarde un peu ce que je suis allée chercher chez Maman
pendant qu’on papotait.

IMG_1883On l’a faite ensemble, Poupinette et moi. Elle a choisi son tissu, ses boutons. Et elle a bossé, tu sais coupine? Elle a décalqué la moitié du patron, m’a aidé à tracer à couper le tissu et même à coudre à la machine.

– Tu es ignoble Mathilde.

– Si la lettre n’est pas conforme à mes instructions, je brûle la jupe.
Ou je la taillade. Ou je balance de la javel dessus.
Je verrai en fonction de mon humeur.

– Putain Mathilde, t’es dégueulasse!
Je t’ai dit que cette jupe représentait beaucoup pour moi
et toi, tu en profites pour me dépouiller de ma part d’héritage !!
C’est dégueulasse !!! C’est indigne, même de toi !!!

– Bla, bla ,bla… Au fait, tu as raison.
Elle est verte cette jupe. Et puis les boutons sont rouges.
Rien à voir avec celle que j’ai cousue avec Maman, en fait !
Mes boutons étaient oranges je crois… Ou bleus…

IMG_1884Elle aime bien sa petite jupe, avec ses jolis boutons et ses revers de poches. Moi, je suis un peu mitigée parce que finalement, le velours est trop rigide. Et aussi, qu’il faut que je déplace le bouton de l’élastique boutonnière (les finitions sont top pro!). Sauf qu’évidemment, j’ai la flemme.

– Mathilde, je vais te tuer !! JE VAIS TE TUER !!

– Meuh non, tu ne vas rien me faire. Pense à ta jupe.
Bonne nuit Charlotte. Fais de beaux rêves et à demain !
Bises.

IMG_1749Bon après, niveau style, je n’ai quasiment plus mon mot à dire depuis un moment maintenant…

IMG_1754Depuis cette jupe, elle a décidé qu’elle voulait une machine à coudre pour son anniversaire.

11 thoughts on “La Jupe

  1. Elle est très jolie, cette jupe ! Cela me donne envie de ressortir mon magazine… Et de la coudre avec ma Poulette, tiens ! Mais, ton histoire me perturbe 🙂 Ah non c’est bon, j’ai une seule fille 🙂

  2. Elle est vraiment bien écrite, ta nouvelle ! Pendant un temps, j’ai cru que c’était Charlotte, la soeur dingue, et puis tu renverses la vapeur insensiblement. Arrivée à la fin, j’ai relu le début. Bravo !
    Et bravo pour la transmission du Gène de la Couture à ta demoiselle !

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