La piste aux étoiles
Je suis snob.
Enfin, ce n’est pas totalement sûr mais bon, il y a des faits troublants. En haut de mon estime couturistique, il y a les vêtements et tout en bas, les accessoires. En haut les grosses pièces compliquées, en bas les petites choses simples en peu de morceaux. En haut, les projets qui me prennent (la tête) des semaines entières, en bas, les coutures express. En haut, les finitions de folie (coutures passepoilées, gansées de biais ou terminées à la main), en bas les coutures sobres, droites, à la machine, sans fioritures ni prises de risques.
Je suis une couturière snob, coupinette. Au fond, je méprise les coutures faciles.
Ouaip. Ce n’est pas jojo.
Mais autant ne pas me voiler la face, n’est-ce pas?
Je suis snob donc, et pourtant, avant l’été, j’ai cousu cette petite trousse et j’en ai été ravie. J’en ai même été tellement contente que ça m’a limite alarmée. Je ne me suis pas reconnue dans cette liesse pour une troussette.
J’ai donc décortiqué les raisons de cette joie saugrenue, histoire d’être au clair avec moi-même.
Alors voilà: je suis super joisse parce que la honte est enfin derrière moi (ma fille sans trousse fixe est enfin bien pourvue)
Figure-toi que depuis plusieurs années (depuis qu’elle est née, à vrai dire), ma Tchupette n’a pas de trousse de toilette attitrée. Sa brosse et son Sign*l à la fraise squattent ma trousse de toilette, celle de son père ou celle de sa petite soeur, cadeau de ma belle-soeurette à travers une My Little Mom Box.
Tchup’ a bien sûr noté qu’elle était une mal-aimée de la trousse. Elle me l’a bien sûr signalé. Et j’ai bien sûr souvent pensé que je devrais lui en coudre une.
Mais bon, partager la trousse de toilette d’un autre membre de la famille ne me paraissait pas être un drame non plus, alors l’affaire traînait depuis un bail.
Et puis cet été, Tchup’ est partie en vacances avec sa Mamie au bord de la mer. Et pour lui éviter de transporter ses petites affaires dans un sac de congélation (oui bon, je sais, je saaaiiis!), je lui ai déterré une trousse de toilette d’une compagnie aérienne. D’un jaune criard bien moche et avec le logo tout aussi moche de la compagnie aérienne en grand dessus.
A l’instant où j’ai croisé son regard stoïque, dans lequel j’ai cru lire « Tu me refiles ce truc moche et tu t’en fous, mais ne t’inquiète pas Maman, moi je t’aimerai quand même toute ma vie », à cet instant précis donc, j’ai eu honte, coupine. Super honte même. Je lui ai donc promis séance tenante de lui coudre une trousse de toilette. Que je lui apporterais sur son lieu de vacances lors du pont du 14 Juillet puisque là on était la veille de son départ et qu’il était trop tard pour que je m’y mette.
Elle est donc partie avec sa petite trousse ultra moche dans sa valise et en cousant cette troussette, j’ai eu la sensation de réparer le tort que je lui ai fait et de restaurer un peu mon image de maman attentionnée.
Je suis super joisse parce que finalement, Tchupette a bon goût (la couleur de la paix, c’est le fluo)
Donc la veille de son départ, je sors mon bac de tissus enduits de sous mon lit et je propose à Tchup’ de choisir.
Bien entendu, j’avais une grosse préférence pour un enduit Petit Pan tout joli avec ses fleurs dans les tons rouge et rose. Que je lui suggère donc de prendre.
Mignonne, elle fait une moue prudente et me dit « Heu d’accord, je le prends mais avec celui-là aussi » et elle se saisit d’un enduit vert/bleu canard à étoiles blanches, glané chez Mondial Tissus. Pas moche, certes, mais pas whizz whizz non plus.
J’argumente subtilement à base de « Oh non! Mais pourquoi pas celui-là tout seul? », elle me répond du tac au tac « Ben parce que je l’aime pas trop ». A ces mots, mon enthousiasme se met à vaciller.
Et puis je me rappelle qu’à la base, tout ça vise à LUI faire plaisir et à ME faire pardonner. Donc je cède.
Va pour le canard aux étoiles (j’ai tout de suite écarté le « On n’a qu’à utiliser les deux », vu que ça sentait la prise de tête à plein nez et que je n’avais pas prévu de me prendre la tête sur cette petite chose).
Tant qu’à nous mettre d’accord sur tout, je sors ma boîte de cotonnades « vitaminées » et elle choisit un tissu rose à pois oranges. Je constate qu’il réveille le bleu/vert canard aux étoiles et mon enthousiasme reprend du poil de la bête.
Pour finir je sors ma boîte de fermetures éclair et nous fourrageons dedans en coeur. Je propose du rose, elle lève un sourcil critique. Elle tire sur une fermeture vert anis, je fais une moue diplomatique. Chacune à notre tour, nous pêchons des couleurs que l’autre rejette illico. Ce manège se termine lorsque nous tombons sur cette fermeture éclair fluo qui nous met directement d’accord toutes les deux.
Et là je souffle. Finalement, cette petite tient de moi. Elle a bon goût.
Je suis super joisse parce que mon bidouillage pour réduire le patron a bien tourné (ma géométrie n’est PAS rouillée)
Je te disais que l’affaire a traîné un bail. C’est vrai mais il m’est arrivé d’y réfléchir. Souvent même. J’ai envisagé des tas de formes et des tas de tailles possibles pour cette trousse, changeant d’avis avec une belle régularité. Et puis en feuilletant les Nouveaux Intemporels pour Bébés à la boutique, je suis tombée sur cette trousse de toilette. J’ai immédiatement adoré sa forme de brique trapézoïdale. Elle a un côté vaguement rétro qui me charme. Va pour ce modèle donc.
Le hic, c’était sa taille. En dépliant la planche à patron, j’ai vu qu’elle était immense. Et moi je voulais faire une trousse de toilette à la taille de Tchup’.
J’ai fait des études supérieures scientifiques, coupine, alors tu penses bien que je ne me suis pas démontée. J’ai immédiatement entrepris de réduire ce patron maousse à la taille « enfant de 5 ans et demi ».
Ceci dit, je ne me suis pas précipitée, j’ai réfléchi et j’ai décidé de procéder à ma réduction de patron par des pliages successifs et non en découpant le papier. Comme ça, pour me faire une trousse identique mais en version « adulte qui a plein de gros flacons vitaux à transporter », je n’aurai qu’à déplier mon origami pour retrouver la taille d’origine du patron. Economie substantielle de décalquage et donc idée génialissme, tu en conviendras. Me voilà donc armée d’une règle, d’un crayon et de masking tape, à plier mon patron au jugé.
Au final, ça n’a pas été une mince affaire. J’ai galéré, à vrai dire. Et j’ai fini par utiliser une de mes techniques favorites: faire n’importe quoi en espérant un miracle. Ca a bien marché, preuve que j’ai la gémoétrie dans le sang et que j’aurais dû tenter le coup les yeux fermés.
Je suis super joisse parce que : je n’ai mis qu’une soirée (investissement minimal pour profit maximal)
J’adore les coutures rapides, coupine. Ca m’euphorise d’avoir l’impression d’être une fine gachette de la couture alors qu’en réalité, je suis lente comme un escargot. On ne peut pas aller contre sa nature, coupine. 8 ans de couture m’ont appris cela. Alors quand l’univers, la chance, le temps et l’énergie s’allient pour qu’un projet se fasse flip flap en deux heures, on savoure.
J’ai savouré, coupinette, j’avais l’impression d’avoir des doigts volants. Je n’ai pas prononcé un seul gros mot de la soirée.
Et comme il fallait aussi que je lutte contre ma culpabilité, le fait que ça ne m’ait pris qu’une soirée a été une très très bonne chose, je dois dire. j’ai parfaitement bien dormi ensuite.
Je suis super joisse parce que : Je n’ai rien acheté pour la faire (j’ai atteint le premier cercle de sagesse de la couturière)
Quand tu peux trouver tout ce dont tu as besoin dans ton stock, c’est que tu as passé une étape, selon moi. C’est reposant de ne pas avoir à traverser la ville pour trouver LA bonne doublure ou une fermeture éclair qui ne jure pas avec son coton enduit.
C’est rassurant aussi: ce n’était pas une pulsion d’achat inquiétante qui m’est tombée dessus il y a 2 ans chez Mondial Tissus, c’était de la prévoyance. Je savais que je faisais bien d’acheter cette toile enduite même si je n’avais pas la moindre idée de ce que j’en ferais. Mes tripes me l’avaient dit!
Le tissu de doublure, c’était un coupon que je m’étais procuré à la boutique il y a bien un an, sans savoir non plus ce que j’allais en faire (pas plus que l’enduit en tout cas). Et la fermeture éclair, je l’avais achetée dans un salon juste parce que j’aimais sa couleur.
Pas de plan élaboré à l’avance pour ces 3 éléments. Mais là, alors je finissais de coudre la doublure à la main le long de la fermeture éclair, je me suis dit que j’avais drôlement bien fait d’acheter tout ça. Des fois, on ne comprend pas tout à fait ce qui se passe mais si on se laisse guider par son karma de couturière, toute l’histoire se termine bien.
Bref, non seulement il y avait un bon paquet de raisons d’être contente de ma petite trousse mais la meilleure, celle qui fait que je suis VRAIMENT contente de savoir coudre, c’est la tête qu’a fait Tchup’ quand je la lui ai offerte.
A ton avis coupinette, finalement, le summum du snobisme, n’est-ce pas de snober les ouvrages périlleux pour sautiller de joie devant une humble trousse?