Lady Jane is alone

Ça faisait belle lurette que personne au ranch ne prenait plus Jane pour une femme.

Elle s’était appliquée à gommer tous les signes de féminité chez elle: elle avait adopté une démarche masculine, elle ne mettait jamais de robe ni de jupe, elle avait les cheveux taillés courts, elle crachait, elle jurait comme un charretier et elle jouait volontiers de sa voix éraillée de fumeuse de cigarettes roulées.

Elle avait lutté pour se faire une place dans ce monde d’hommes et son regard perpétuellement furieux montrait à quel point elle était déterminée à la garder. Elle était dure à la tâche, elle n’avait jamais perdu une bête et elle excellait au dressage des chevaux. Elle jouissait donc du respect des autres cow-boys, qui voyaient en elle un égal.

Personne n’osait plus essayer de flirter avec elle. Elle avait toujours réagi avec beaucoup de violence devant chaque tentative et bien des cow-boys en avaient fait la douloureuse expérience. L’un d’eux avait même failli y perdre un œil.

Et puis un soir de printemps, il était arrivé au ranch. William. Il ne supportait pas qu’on l’appelle Bill, bien que ce fût monnaie courante au Texas. William était un cow-boy itinérant qui allait de ranch en ranch. Il ne voulait pas se fixer, il disait qu’il aimait voyager.

Jane ne l’avait jamais avoué à personne mais William avait bouleversé sa vie. Il était très galant avec elle, il ôtait son chapeau quand il devait lui parler et la traitait comme une lady. D’ailleurs, contrairement aux autres qui lui donnaient volontiers du « Calamity Jane », il l’appelait « Lady Jane ». Il n’avait pas peur d’elle ni de ses rebuffades, de ses silences ou de ses sarcasmes. Il semblait insensible aux moqueries des autres cow-boys. Il était amoureux de Jane et manifestait ouvertement ses sentiments.

Ce comportement avait affolée Jane. Personne ne s’était jamais conduit comme ça avec elle et elle ne savait pas comment réagir. Ça la rendait furieuse d’éprouver du plaisir à susciter tant d’émoi chez William, elle lui en voulait de cette inclination qu’elle commençait à ressentir elle aussi, ce sentiment étrange qu’elle confondait avec de la faiblesse et dont elle avait honte. Et puis elle avait peur que cette histoire la diminue aux yeux des autres employés du ranch.

Du coup, elle lui battait froid, elle le regardait de haut et l’évitait autant que possible. William s’était alors fait plus discret mais ne se décourageait pas. Il continuait à lui sourire, à la couver d’un regard doux quand il pensait qu’elle ne le voyait pas, à la saluer avec empressement quand il avait la chance de la croiser. Il poussa même l’audace jusqu’à lui offrir un cadeau, un jour.

Il avait appris qu’elle avait souvent froid la nuit, et il avait commandé un plaid à une vieille couturière en ville. Un grand plaid rouge à bordure beige, moelleux et bien chaud. Il avait malheureusement commis l’erreur de le lui offrir devant les autres et Jane s’était énervée.

Elle avait jeté le plaid à la poubelle et l’avait cruellement raillé. Elle avait cherché à l’humilier et y était parvenue. Elle avait regretté ses paroles aussitôt après les avoir prononcées mais le mal était fait : William, blessé, n’avait plus insisté et avait mis de la distance entre eux.

Il était parti à la fin de l’automne, quand la charge de travail au ranch avait diminué. Il était parti sans lui dire au revoir.

Jane s’en voulait beaucoup. Elle s’en voulait de l’avoir humilié, elle s’en voulait d’avoir été odieuse avec lui, si infecte. Peut-être qu’il serait resté si elle s’était montrée un peu plus accessible. Peut-être qu’il serait resté pour elle. Mais bien sûr, elle n’avait jamais baissé sa garde. Jamais. Et il était parti.

Il ne lui restait plus que le plaid. Elle était allée le récupérer dans la poubelle, à la nuit tombée, et l’avait lavé. Elle le gardait précieusement sous son matelas et elle aimait s’enrouler dedans, le soir, enfermée dans sa chambre. Elle s’enroulait dedans et elle s’endormait en rêvant que William revenait la chercher.

Voici Jane, ma machine à coudre. Vous la voyez posée sur son plaid ou plus exactement son tapis de couture.

Le tapis de couture est une idée géniale que nous devons à Poon-Poon qui a eu la générosité de faire un tuto fort clair. Terminé le découd-vite qui se carapate, les bouts de tissu ou le mètre qui se cachent et que je cherche dix fois dans la soirée, terminé le bordel autour de Jane, je peux ranger mes petites affaires. Mes chakras sont ouverts et je m’énerve moins. Poon-Poon, bénie sois-tu.




Tissu rayé (IKEA) et tissu rouge (Toto tissus) qui me restaient du tablier de Mister MyCheri (à l’époque je n’y connaissais pas grand-chose en métrage et pour ne pas manquer de tissu, j’achetais de graaaannnds coupons. Je ne vous raconte pas le stock que j’ai. Enfin si, à l’occasion, je vous montrerai), biais beige clair et biais beige foncé (Mercerie Moline).

Petite roucoulade de fierté : je suis particulièrement contente de mes coins. C’est un détail mais ça fait toujours plaisir, le travail soigné:



21 thoughts on “Lady Jane is alone

  1. ouaip ! tes coins sont PARFAITS !
    L’ensemble est super bien réalisé, l’harmonie est respectée, le texte toujours aussi prenant !!!!
    Moi j’dis BRAVO pour pas changer !!!!

    (snif snif…. chui même pas dans tes copinoblogs…. tu m’aimes pluuuuuuus ???)

  2. Mais si je t’aime Jul’!
    Les coupinoblogs, c’est pour les coupines qui ont un blog d’autre chose que de couture…
    Mais à bien y penser, l’amitié prime sur le genre, je file t’y rajouter. 🙂
    Et pour les coins, t’as vu ça? Je progresse hein?!

    Mister TheDesignerOfTheBanner se joint à moi pour te remercier chaleureusement. :))

  3. super je découvre ton blog et je suis ravie d’y trouver un joli tapis de couture. Ca fait plaisir de voir que mes tutos servent, ça me motive à en faire d’autres. Normalement cette semaine je met en ligne le tuto du porte épingle ^_^

  4. Are you joking or what Pims??? Un tapis de couture? Non mais ce serait t’insulter que de t’en coudre un alors que tu as des doigts de fée couturière! Merci pour le talent, mais je n’en ai pas plus que toi tu sais?

  5. Tatataaaaaaa trêve de blabla et ne médie pas sur moi, j’ai plus des doigts de sorcière que de doigts de fée hein :gla: Ma machine prend la poussière là d’ailleurs lol…

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