L’âge de raison
Ecoute, il se trame quelque chose, coupinette.
Je ne me reconnais plus.
Déjà, je n’achète plus de tissu. Plus du tout. Même pas en douce. Je n’ai pas acheté le moindre petit coupon depuis début Juillet. Tu imagines ? Ces cinq derniers mois, j’ai visité mes boutiques habituelles, virtuelles et réelles et je n’ai pas acheté de tissu. Je suis allée au CSF et je n’ai pas acheté de tissu. Je suis allée à la Grande Mercerie et je n’ai PAS acheté de tissu.
J’ai arrêté.
Je te vois venir là et je te dis non, mon amie. Non, ça n’a rien à voir avec le fait que les bacs sous mon lit débordent (ils passent à peine sous le sommier), les hautes caisses qui occupent le bas de ma penderie sont sur le point de craquer et l’étagère que j’ai habilement soustraite à la garde-robe de Charming (oh ça va hein ! Tu aurais fait exactement la même chose à ma place) ne peut plus accueillir ne serait-ce qu’une chute de tissu.
Je n’ai plus de place pour de nouveaux tissus, certes, mais mon sevrage n’a rien à voir avec ça (j’en trouve quand je veux de la place) (il reste l’armoire des filles) (détends-toi, je plaisante).
Bronte Top (Jennifer Lauren – Handmade) en taille 12 rallongée en robe (pour un 38 du commerce)
jersey à motifs (Anne Willi – mon stock)
jersey rouge (mon stock)
fil mousse (mon stock)
Non, tu vois, il y a comme un filtre qui s’est installé entre les tissus et moi. Une distance qui m’empêche de perdre la tête. Je croise toujours des coupons très beaux et très attirants, mais ils ne m’ensorcellent plus. Je ne m’affole plus devant un merveilleux jacquard. Je ne succombe plus aux promesses des jolies viscoses, je ne me jette plus à la tête du premier sweat à paillettes venu, je ne me pâme plus quand un jersey éblouissant accoste mon regard. Les beaux tissus se croisent désormais à tous les coins de rue. Et moi je ne craque plus, je ne les amasse plus.
Je me suis assagie.
Je ne cherche plus à faire de nouvelles rencontres textiles, je sors moins maintenant. Je passe mes soirées au calme, à renouer avec mes tissus sous le lit, dans le bas de l’armoire ou sur l’étagère de Charming. Je me remémore ce que je voulais coudre avec telle cotonnade ou avec telle viscose, je me rappelle où j’ai acheté tel sweat ou tel enduit. A chaque nouvelle idée, je ne cours plus acheter un nouveau coupon, je passe mon stock en revue avec cette nouvelle et curieuse certitude qu’il y a forcément un tissu dans mes bacs, dans mes caisses ou sur mon étagère qui répondra à l’appel. Et je finis par en trouver un. A chaque fois.
C’est bizarre non ?
J’ai changé.
Tiens, autre étrangeté : pas plus tard que la semaine dernière, alors que je venais de me coudre un top Bronte, j’ai enchaîné sur… une robe Bronte. Tu le crois ça ?
J’ai utilisé le même patron de vêtement deux fois d’affilée !
Ça ne m’est JAMAIS arrivé en 10 ans de couture.
Tu me connais, toi ! Tu sais qu’avec les patrons, je suis plutôt du genre « un rencard et au suivant ». Tu sais que je suis lente, que je n’ai pas le temps d’approfondir et que j’ai peur de m’ennuyer à coudre plusieurs exemplaires d’un même vêtement.
Alors oui, il m’arrivait de me dire, quand je quittais un patron qui m’avait ravi ou sur lequel j’avais fait de nombreuses modifications, que je reviendrais le voir un jour, bientôt, pour le coudre dans un autre tissu. Mais, bien sûr, je ne revenais jamais. Comment voulais-tu que je fasse ? Avec tous les modèles que j’ai envie de coudre avant ?
Et pourtant, la semaine dernière, vlan ! J’envoie valdinguer tous mes autres projets et je me lance dans une robe Bronte. Comme ça, flip flap. Parce que j’en avais envie.
C’est fou non ?
Franchement, si je n’avais pas adoré coudre ce patron une seconde fois, je me serais affolée, c’est clair !
Mais cette robe était si facile à coudre puisque j’avais encore les instructions dans la tête et dans les doigts. Sa confection a été si confortable puisque je savais grâce au top que je venais de coudre qu’elle m’irait parfaitement.
Et je ne me suis pas ennuyée une seconde. Il y a eu du suspense, coupine ! D’abord au niveau du tissu : j’ai choisi un jersey que j’avais acheté avec Momo chez Anne Willi. C’est justement le dernier tissu que j’ai acheté avant d’arrêter (v’la le symbole).
Très fluide le jersey. Il est resté swing swing même après la bombe d’amidon que j’ai vidée dessus. Et petit, le fripon ! J’ai passé une soirée à essayer de caser toutes mes pièces de patron avant de décider de couper le dos en deux parties et de me contenter de manches 3/4.
Au niveau du patron aussi, j’ai eu des angoisses. Figure-toi que je me suis contentée de prolonger les lignes de côté du top pour obtenir ma robe sans vérifier si mes hanches passeraient (il eût fallu mesurer la largeur de mes 2 demi-patrons à 20 cm sous la taille, multiplier le résultat par 2 et vérifier que mon tour de hanches est bien inférieur à la valeur obtenue).
C’est bien après avoir coupé mes pièces et commencé à les assembler que j’ai pensé à ma boulette. Tu imagines bien que j’ai retenu mon souffle au moment de l’essayer. Et que j’ai été infiniment soulagée de constater que mes hanches et mon postérieur passaient pile poil (chance folle).
C’était formidable cette récidive, coupine!
Et je crois que j’ai bien fait : vu le temps que j’ai passé à modifier mon patron pour qu’il m’aille parfaitement bien, ç’eût été bien dommage de ne pas en tirer plusieurs réalisations à la suite.
J’en viens à me dire que c’est exactement ce qu’il me faut, au fond : arrêter de courir après les patrons, prendre mon temps et capitaliser sur mes acquis.
Tu vois ? J’ai changé !
Oh ! Je crois que je sais ce qui se passe.
Je vieillis.
Merde.
C’est grave, tu crois ?
Hey, mais vieillir n’apporte pas que des choses négatives ! On devient plus philosophes et moins impulsives. Et on sait mieux tirer partie de ses acquis ! 😉
Cette robe est juste merveilleuse ! Ce tissu déjà, cette touche de rouge. Et puis elle te va à merveille !! Bravo !
Tu te balades jambes nues en novembre donc, si tu vieillis, clairement tu n’est pas encore vieille (ce qui soit dit en passant est plutôt chouette sur plusieurs aspects). Et si ton changement fait de toi une mamie sache que je suis une mamie depuis pfiou… trois ans? Plus? Et je n’ai même pas 28 ans donc disons que tout ça est fort relatif!
En tout cas, on dira que tu as un très bon karma et ta robe est superbe!
Oh ! Mais je ressens la même chose que toi. (Merci d’avoir mis les mots là dessus). L’autre jour, j’ai concrétisé une idée que j’avais eu en achetant le tissu il y a quoi… 1 an, et en cherchant dans mon stock le tissu, je suis tombé sur plein d’autres tissus (oui j’étais dans mon stock) qui me tendaient les bras en me disant : Eh tu te rappelles ce que tu voulais faire avec moi ? Tu sais cette belle robe à découpe princesse (tu sais la même que ta première robe ?) Allez tu reviens vite dis ? tu ne m’oublies pas encore 1 an ou 2 ? (ça serait dommage de me revoir à l’état de coupon à ton prochain démmenagement, allez on fait un pacte, je serais une robe lors du prochain démenagement ! Vas y tape moi dans la main 🙂
De plus, j’ai repris un patron déjà fait et j’ai appliqué les modifications que j’avais pensé à reporter. Et j’avais vérifié précisément le métrage (en positionnant les pièces sur ma nappe de la même laize) qu’il me fallait pour commander un tissu (c’est pour un cadeau).
Bref j’ai rencontré la sagesse de couturière (peut être que toi aussi :)).
Cela dit ça a dut bon, parce que ta robe est super jolie. Et je pense pas que ton problème soit la vieillesse, parce que ton bord cote rouge, ça donne du peps du dynamisme et tout, et ça ne me fait pas franchement pensé à la vieillesse 🙂
Ton article m’a fait sourire! Vieillir, je ne sais pas, je ne crois pas…Se rendre compte que l’on change, que l’on est encore soi tout en ayant changé…
En fait, ça m’a fait penser à mes débuts dans les vide-greniers où j’étais très fière de ramener toujours une trouvaille et du jour où j’ai commencé à être très fière de ne rien ramener (pas besoin, davantage d’exigence sur ce que j’achète etc.).
Bonne continuation dans ces mouvements…
Ben non c’est pas grave ! tu es encore plus belle, tu rayonnes de maturité et tu sais dorénavant ce que tu veux vraiment… moi, je dis : que du bonheur ! (comme cette robe qui te va à ravir…)
Waouh ! Pour le choix du tissu associé à cette couleur framboise !
Waouh ! pour avoir pris le temps d’écrire si bien les choses !
Waouh ! Merci de me faire sourire ! Non, ce n’est pas vieillir (même si ce n’est pas grave de vieillir !), c’est être moins impulsif…Et le jour où on se sent vieillir : une lecture : la BD « les vieux fourneaux » !
ah là là comme j’aime quand tu écris et quand tu vieillis !
cette robe est sensas !
je me reconnais tellement dans ce que tu écris sur les tissus (même si j’en ai acheté qq coupons depuis juillet ;o) ) (et même si depuis plusieurs années maintenant une partie du placard de ma number 3 contient qq vieilles étoffes non encore utilisées… bah quoi ?)
bisous
holala, alors je suis vieille depuis longtemps !
Moi, j’attends d’être vraiment amoureuse d’un tissu pour l’acheter et le coudre juste après… d’ailleurs, j’en ai qui sont là depuis au moins 15 ans et je pense sérieusement que je vais faire un vide atelier un de ces jours …
Non c’est pas grave! Veillir c’est aussi mûrir et franchement ça vaut carrément le coup ici.
Bravo!
Bonjour ! J’aimerais avoir l’âge de raison moi aussi, et taper dans les tissus qui se planquent sous mon lit… le résultat est chouette, et tombe très bien en tout cas !
Bon si c’est cela vieillir alors tu portes les années joliment !!! L’âge de raison à ses avantages ..surtout économiques (ouais je sais c’est pas tripant). En tout cas dans cette jolie robe tu parais 20 ans !
Comment as-tu fais pour résister au salon CSF? Je n’ai pas résisté moi, je ne suis pas encore assagie, pourtant mes placards ne ferment plus… Humour passionnant, jolie robe, continues comme ça, la sagesse te réussi on dirait! 🙂