Le faire-part
LE FAIRE-PART
– Alix –
Le sourire d’Alix s’évanouit dès qu’elle ouvrit la boîte aux lettres.
Son regard avait été attiré par une enveloppe orange sur laquelle elle avait immédiatement reconnu l’écriture de David. Elle sortit le paquet de lettres et de prospectus de la boîte et en tira l’enveloppe carrée.
Coinçant les autres missives sous son bras, elle la décacheta sans attendre, le cœur battant.
Ca faisait longtemps qu’Alix n’avait pas pensé à David. Elle avait fait le deuil de leur histoire et elle était heureuse à Paris. Elle aimait sa vie avec Alexandre et elle aimait son nouveau cadre de travail. Bruxelles, sa vie d’avant, David, tout cela était relégué dans un coin de sa mémoire qu’elle ne visitait presque plus.
Pourtant, le faire-part qu’elle sortit de l’enveloppe lui porta un coup.
Sur la carte étaient dessinés un homme et une femme de part et d’autre d’un énorme cœur rouge sous la pointe duquel était collée la photo d’un bébé.
« David et Elise Vuillemond sont profondément heureux de vous annoncer la naissance d’Elias ».
Alix sentit ses jambes s’engourdir. Elle vacilla et laissa échapper son courrier. Se reprenant, elle se pencha et se mit à rassembler les papiers éparpillés à ses pieds.
Alors qu’elle se relevait, elle entendit la porte de l’immeuble s’ouvrir derrière elle.
Une vieille dame entra à reculons dans le hall, tirant une poussette dans laquelle dormait une petite fille. Elle fit faire un demi-tour à la poussette puis se dirigea vers une boîte à droite de celle d’Alix.
« Vous devez être contente mademoiselle… Dhénin ! » Dit-elle après avoir jeté un coup d’œil sur la plaque de la boîte aux lettres d’Alix. « Ça y est, Monsieur Sédard a ajouté votre nom sur la boîte. C’est un type bien, ce Monsieur Sédard ! Diligent, efficace… C’est simple, c’est le meil…. Ca va mademoiselle? Vous allez bien? »
Alix se força à lever les yeux vers son interlocutrice et murmura « Oui oui, ça va. Ne vous inquiétez pas ».
« Vous êtes sure? » demanda cette dernière, les sourcils froncés. « Parce que là, vous êtes très pâle, quand même. »
« Ca va, ce n’est rien. Je vais bien… Je vais bien. » répondit Alix en se relevant.
Elle gratifia la vieille dame d’un sourire contraint et se dirigea vers le vieil ascenseur.
Arrivée au cinquième étage, elle ouvrit la porte de son appartement. Alexandre n’était pas encore rentré.
Elle plaça le reste du courrier sur la console de l’entrée puis quitta ses escarpins avant d’aller dans le salon. Elle posa la carte et l’enveloppe sur la table basse puis s’assit sur le sofa et les regarda fixement. Au bout d’une minute, elle frissonna et remonta ses pieds sur le canapé. Se saisissant du plaid posé sur le dossier, elle s’enroula dedans puis reporta son attention vers la carte.
Les questions se bousculaient dans son esprit.
Comment avait-il eu son adresse? Et pourquoi lui avait-il envoyé ce faire-part? Etait-ce parce qu’elle était sa collègue? Une parmi d’autres ? Ou alors… Peut-être… Peut-être qu’il avait voulu reprendre contact avec elle par ce biais?
Alix trouva cette dernière idée d’un mauvais goût consommé.
Pourtant, elle se pencha et attrapa l’enveloppe. Elle y chercha un petit mot, en vain. Elle prit alors le faire-part et le retourna, mais il n’y avait rien d’écrit au dos de la carte.
Elle ne comprenait pas. Elle savait bien que David allait avoir un bébé. C’était pour ça qu’il l’avait quittée. C’était pour ça qu’il avait finalement choisi sa femme et l’avait abandonnée. C’était pour ça qu’elle avait tant pleuré, tant souffert. Et maintenant qu’elle avait surmonté sa douleur, maintenant qu’elle avait enfin accepté et tourné la page, il lui envoyait ce faire-part. Comme pour l’enfoncer à nouveau.
« David et Elise Vuillemond sont profondément heureux… ».
Alix sentit peu à peu la colère monter en elle. Mais qu’est-ce que ça voulait dire? David était « profondément heureux ». Et alors? Quel besoin de le lui faire savoir? Et surtout comme ça, par un faire-part laconique?
Ce type lui avait tranquillement saccagé le cœur et maintenant il faisait comme si elle était une amie à qui il fallait annoncer la grande nouvelle?
Non, même pas une amie, une connaissance. Il n’était pas venu à son pot de départ. C’était bien la preuve qu’elle ne représentait finalement pas grand-chose pour lui !
Ce monstre d’égoïsme ! Il n’était même pas venu lui dire au revoir. Il se fichait éperdument d’elle, il n’y avait que lui qui comptait. Lui et son bébé. Lui, sa femme et leur bébé! Lui et sa foutue famille!
Elle avait eu tort de croire qu’il avait souffert de la quitter, elle avait eu tort de penser que ses innombrables coups de fil après cet horrible rendez-vous au café des Oubliés signifiaient qu’il tenait encore à elle, elle avait eu tort d’imaginer qu’il l’aimait toujours, quelque part entre ses devoirs de mari et ses rêves de paternité.
Elle avait eu tort, totalement tort. David n’était qu’un sombre connard.
Il était profondément heureux. Et bien tant mieux pour lui ! Mais elle ne voyait pas pourquoi il avait eu besoin de lui balancer son satané bonheur à la figure. Qu’il en crève, de son bonheur profond. Elle n’en avait rien à faire. Absolument, strictement, totalement rien à faire !
Connard!
Alix se leva et alla dans la chambre chercher le petit paquet qu’elle avait mis au fond de son placard.
Elle laissa échapper un petit rire amer.
Quelle cruche elle avait été!
A son arrivée à Paris, lors d’une de ces longues promenades qu’elle faisait régulièrement à travers la ville, Alix avait trouvé, dans une petite boutique du quartier Montorgueil, d’adorables petites guêtres blanches pour bébé. Et sur une impulsion, elle les avait achetés. Pour le bébé de David.
Elle ne s’était pas encore décidée à envoyer le paquet, elle avait temporisé en trouvant plus judicieux de le donner en mains propres à David, lors d’une prochaine réunion au siège de l’agence à Bruxelles.
C’aurait été sa façon à elle de lui dire au-revoir. Sa façon à elle de dire: « Je comprends. Je ne t’en veux pas et j’ai tourné la page. Sois heureux ».
Tu parles! Il ne l’avait pas attendue pour être heureux! Il n’avait pas besoin d’elle ni de sa permission, pour être heureux.
Mais qu’est-ce qui lui avait pris de croire qu’elle comptait pour lui?
Alix sentit une boule se former dans sa gorge et les larmes lui monter aux yeux mais elle refusa de laisser la tristesse éclipser sa colère.
Le paquet à la main, elle retourna d’un pas vif au salon, rafla le faire-part et l’enveloppe puis alla dans la cuisine. Elle appuya sur la pédale de la poubelle et jeta le tout.
Elle poussa un profond soupir mais elle ne se sentit pas mieux. Au contraire, elle eut envie de pleurer. Elle avait l’impression que c’était elle qui avait été mise à la poubelle.
Elle alla dans la chambre, se changea, prit son lecteur MP3 sur la commode, ses clés dans l’entrée et sortit courir.
Courir en musique à Paris, c’était son grand plaisir. Elle ne faisait jamais de sport quand elle habitait à Bruxelles. Mais elle s’était mise à la course à pieds en arrivant à Paris et elle adorait ça. Surtout au crépuscule. Dans le ciel qui s’éteignait, la ville lui paraissait magique, parée de ses lampadaires comme d’autant de bijoux.
Elle gagna le jardin du Luxembourg à petites foulées, y courut une cinquantaine de minutes puis rentra par le même chemin en marchant lentement et en soufflant bien fort.
Cela lui avait fait du bien, comme toujours. Sa colère avait pratiquement disparu quand elle poussa la lourde porte de l’immeuble.
Mr Sédard, le mari de la concierge, sortait de l’ascenseur, une boîte à outils à la main.
Il lui adressa un petit signe de tête et elle s’arrêta pour le remercier d’avoir changé la plaque sur la boîte aux lettres d’Alexandre. Vaguement mal à l’aise, il lui répondit que c’était tout à fait normal, c’était son travail de changer ce qui devait l’être.
Il marqua un temps d’arrêt, comme pour réfléchir à ce qu’il venait de dire, puis s’effaça pour lui permettre d’entrer dans la petite cabine.
Alors que l’ascenseur s’élevait vers son étage, Alix se mit à sourire. La vieille dame avait raison, Monsieur Sédard était un bon gardien. Ou son titre était-il « concierge »? Elle ne savait pas trop, il faudrait qu’elle vérifie la prochaine fois qu’elle passerait devant le panneau d’information près de la loge. Elle n’était pas encore familiarisée avec son nouvel immeuble. A part Alexandre, elle ne connaissait personne. Ah si, elle avait déjà aperçu la vieille dame et sa petite-fille.
Elle eut alors une idée qui acheva de la rasséréner.
Alexandre était rentré et à l’odeur dans l’entrée, elle devina qu’il était en train de préparer le dîner. Elle se dirigea vers la cuisine, sourit en le voyant penché sur une casserole, manifestement très concentré. Elle s’avança à pas de loups, se plaça juste derrière lui et lui souffla « Bouh! » dans le cou. Il sursauta, lâcha la cuillère en bois avec laquelle il touillait cérémonieusement sa sauce, se retourna, sourit puis l’enlaça.
« Tu veux que mon cœur lâche, c’est bien ça? »
« Ca va mon amour? », répliqua t’elle. « Qu’est-ce que tu nous fais de bon? »
Il déposa un petit baiser sur ses lèvres.
« J’innove, ce soir: je te prépare des pâtes aux pistaches.» dit-il en retournant à sa sauce.
Alexandre adorait les expériences culinaires. Surtout celles à base de pâtes.
« Ah. Et sinon, on mange quoi ? » fit-elle d’un ton moqueur qui lui valut une chatouille.
Elle s’éloigna en riant et s’arrêta devant la poubelle qu’elle ouvrit prestement. Jetant au préalable un coup d’œil vers Alexandre, qui, tout à sa nouvelle recette, avait le dos tourné, elle se pencha et récupéra le petit paquet qu’elle y avait jeté. Par chance, l’emballage n’avait pas été tâché.
Elle annonça qu’elle allait prendre une douche et quitta la cuisine, le paquet sous le bras.
En gagnant la salle de bains, elle repensa à son idée et la trouva décidément excellente.
C’est malin tiens ! J attends la suite moi !
Merci coupinette pour ce cadeau du soir !
Joli début, j’attends impatiemment la suite!
Merci pour cette belle écriture
Quel plan va-t-elle échafauder pour un retour à l’envoyeur !!
Merci.
Eh bien, quel suspens ! J’attends la suite avec impatience ………..
Bravo à toi, tu es très douée ! biz