Le sac inachevé (suite et fin)

L’homme la regarda avec surprise puis leva les mains en un geste d’apaisement et sourit : « Non, non, non, Mademoiselle, vous vous méprenez, je ne vous veux aucun mal. C’est… c’est votre sac, je l’ai reconnu. C’est pour ça que je vous regardais comme ça. Pardonnez-moi si je vous ai fait peur. Il vient de Côte d’Ivoire, n’est-ce pas ? »

Incapable de parler, le cœur cognant encore très fort dans sa poitrine, Amy acquiesça d’un signe de tête.

Le sourire de l’homme s’épanouit sur son visage.
« C’est moi qui l’ai cousu, vous savez ? », dit-il, « Il est unique, ce sac. A cause du tissu dont il est fait. Il y a eu un incendie dans l’usine qui fabriquait ce tissu et un seul coupon en a réchappé. Le motif a été détruit dans l’incendie et ce wax n’a plus été produit par la suite. Ca m’a fait un sacré choc de le revoir ici, à des milliers de kilomètres d’Abidjan. »

Amy commençait à se détendre. Cet homme ne lui voulait apparemment aucun mal. Elle remarqua alors l’émotion qui le saisit. « J’étais tailleur là-bas. Un très bon tailleur, très connu, vous savez… Mais c’est fini maintenant, tout ça est fini maintenant. » dit-il en baissant le regard.

Après un silence qu’Amy n’osa pas briser, il reprit : « Ce sac, je ne l’avais pas fini. Je me souviens de ma colère quand j’ai découvert que mon apprenti l’avait vendu inachevé. J’étais perfectionniste, j’avais du mal à accepter l’idée qu’un de mes sacs se promenait quelque part dans le monde alors qu’il lui manquait quelque chose. »
Il fouilla alors dans sa poche et en sortit une petite fleur en tissu bleu, du même bleu sombre que la tranche du sac d’Amy. Il la lui tendit sur sa paume ouverte et sourit : « Je l’ai toujours gardée sur moi. Au cas où, vous voyez… Il… Il faudrait la mettre là… » dit-il en indiquant le côté du sac.
« Le ferez-vous ? S’il vous plaît ? » demanda t’il en la regardant avec intensité.
« Oui… oui d’accord, je le ferai. Je vous le promets » répondit Amy, émue.
« Merci. » souffla l’homme « Merci beaucoup, Mademoiselle. »
Il déposa délicatement la petite fleur dans la main d’Amy et recouvrant celle-ci de ses deux mains, il lui dit : « je m’appelle Siaka. Siaka Zakri. »
« Amy Frontel, enchantée » répondit-elle, troublée par sa gravité.

Sur un dernier sourire, l’homme tourna les talons et traversa la rue dans l’autre sens. Arrivé sur le trottoir d’en face, il mit ses mains en porte-voix et cria : « Au fait ! Amy ! Il n’y a pas de bus ici, l’après-midi, vous savez ? ». Puis il s’en fut sans se retourner.

Amy réussit finalement à rentrer à Manhattan. Elle a tenu parole, voyez-vous-même:

Il y a quelques mois, ma mère a vu le sac que j’ai cousu pour ma sœur et elle m’a demandé de lui en coudre un similaire. Seulement, elle le voulait un peu plus grand. Pour Noël, je lui ai donc cousu ce sac.

Wax (Toto Tissus), coton bleu (Stop Tissus), bouton argenté (acheté dans une brocante)

Je voulais que la tranche entière soit plissée mais j’ai trébuché dans mes calculs et finalement, je n’ai mis des plis que sur les hauts de la tranche.
J’ai mis une double poche plaquée à l’intérieur (parce que je n’ai pas eu le temps de lui faire une petite trousse assortie).
J’ai réussi à coudre les anses à la machine (j’ai eu un bol monstre, elles auraient été un chouïa plus grandes, j’aurais été bonne pour de la couture à la main, pfiouuu !).