Le style de la jungle

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C’est arrivé quasi par accident. En tout cas, je ne m’y attendais pas.
Toujours est-il coupine, que j’ai cousu une chemise parfaite.

J’avais pourtant fait comme les autres fois.
Comme les autres fois, j’ai flashé sur un modèle puis senti l’envie de le coudre monter. Comme les autres fois, j’ai laissé mon esprit tergiverser puis élire un tissu. Et ensuite je me suis lancée dans la couture du patron.
Comme les autres fois.
Sauf que cette fois-ci, il s’est passé quelque chose d’extraordinaire, coupine. Cette fois-ci, il y a eu une harmonie inédite. C’est comme si j’avais réuni divers éléments dont je pensais et j’espérais qu’ils pourraient plutôt bien s’entendre et qu’en les connectant, soudain, j’avais créé une symphonie inattendue et merveilleuse. Comme si en mélangeant des ingrédients au hasard et en choisissant quasiment au pif une méthode de cuisson plutôt qu’une autre, j’avais cuisiné un met succulent. En pensant suivre le même cheminement que lors de mes précédentes coutures, j’ai atterri cette fois dans un jardin d’Eden.

Ma chemise est parfaite, coupine. Je te le dis sans détour parce que c’est un constat qui me semble objectif. Elle tombe parfaitement bien sur moi, voilà. Elle n’est ni trop serrée ni trop large. Les pinces arrivent pile poil où il faut. Elle ne plisse pas à des endroits bizarres, elle ne baille pas de façon inattendue à d’autres endroits. Elle repose sur mon corps, elle l’épouse, elle le respecte, tu vois?
En plus, ses couleurs originales mettent en valeur le brun de ma peau, elles l’illuminent même.
Cette chemise va loin coupine, elle magnifie mon corps, elle le rend plus beau. Constate par toi-même. Il y a quelque chose de troublant là, non?

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La première fois que je l’ai mise, j’ai été surprise par l’image que m’a renvoyée mon miroir. J’ai été charmée, enthousiasmée. Je ne m’attendais pas à ce que cette chemise m’aille si bien. Quand j’ai fini de la boutonner, mon corps et ma chemise sont comme entrés en résonance, en adéquation parfaite, en symbiose. Comme s’ils s’étaient mis à respirer ensemble. Il s’est passé quelque chose, quelque chose que Charming a perçu lui aussi (et pourtant Dieu seul sait ce que perçoivent exactement les hommes). Cette petite Mélilot est différente des autres vêtements que j’ai pu me coudre jusqu’ici. Cette petite Mélilot me donne du style, je crois.

Eh oui, coupine, je prétends aujourd’hui avoir fait un strike. Je prétends aujourd’hui devant toi, avoir atteint l’Everest de la couturière. Pas moins. Oui, carrément.

Parce que, mettons-nous d’accord, il y a avoir un style et avoir du style. Avoir un style, à mon sens, c’est choisir volontairement ou instinctivement des vêtements qui ont un point commun, qui sont reliés entre eux par un fil conducteur plus ou moins évident. Avoir un style, c’est facile, il suffit d’ouvrir un magazine de mode ou d’errer un peu sur le net pour voir les tendances du moment et faire son choix. Avoir un style peut résulter d’une démarche réfléchie, un style peut être totalement fabriqué, artificiel. Ne crois pas que je méprise cette notion, coupine. Avoir un style, c’est louable, c’est faire preuve d’une certaine cohérence stylistique, c’est se situer. Ce qui est déjà quelque chose.

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Et pourtant ça n’a rien à voir, il me semble, avec le fait d’avoir DU style. Avoir DU style, c’est savoir habiter ses vêtements, c’est avoir un lien intime avec eux, savoir communiquer avec eux, les mettre en valeur comme ils nous mettent en valeur, dans une réciprocité sereine. Et ce véritable petit miracle ne dépend pas du style de vêtement, ni du corps de celui qui le porte. Il ne s’agit ni d’être bien fait de sa personne, ni de porter des vêtements cossus. Il s’agit, à mon avis, de porter des vêtements originaux, parfaitement coupés pour soi, ni trop grands, ni trop étroits. Il s’agit d’une illumination mutuelle dont l’énergie est perceptible. C’est peut-être ce qu’on appelle l’élégance, d’ailleurs.

On peut avoir du style sans avoir un style. Je pense même que lorsqu’on a DU style, on est bien trop imposant pour être enfermé dans UN style donné. On peut se permettre de naviguer.

Pour ma part, j’ai longtemps cherché à coller à un style ou à un autre, sans réussir à m’y tenir réellement. Quand j’analyse ma penderie, je suis bien obligée de constater que je n’ai pas de style défini. Je n’ai pas UN style. Au gré des modes et de ma porosité à la tentation, j’ai épousé plusieurs styles, avec plus ou moins de succès. Au fil du temps, j’ai laissé tomber la recherche d’un style cohérent et me suis laissée guider par des impulsions que je ne cherche pas à décrypter, en règle générale (j’ai un côté « mystique qui croit aux signes » fluctuant mais indéniable).

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Et là, soudain, au détour d’une chemisette totalement hors saison, paf, j’ai du style. La vie est quand même pleine de surprises, tu ne trouves pas?

Certes, c’est ce qui en fait tout le piment, me diras-tu mais la vraie question, c’est de savoir comment diable j’ai réussi ce tour de force. Comment ai-je donc obtenu ce miracle du style? Parce que si c’est quelque chose de reproductible, c’est comme si j’avais gagné au loto quand même, cette affaire.

Ce qui ne relève pas d’un miracle dans cette histoire, c’est qu’au cours de toutes ces années de couture, j’ai appris que j’avais une morphologie en H. Et donc, je sais quels vêtements peuvent me mettre en valeur (robes droites, formes empire, tailles basses et vêtements légèrement cintrés) et ceux qu’il vaut mieux que j’évite (les vêtements à taille marquée, les cache-cœurs, les jupes évasées).

Mélilot, c’était feu vert dès que je l’ai vue. Je savais qu’elle m’irait cette chemise, mes tripes me l’avaient dit et j’arrivais presque à me visualiser dedans (je ne suis pas très bonne pour ça en général, alors quand j’y arrive presque, c’est clairement un signe). Je l’ai tout de suite voulue en version manches courtes. J’aime les manches montées (qui mettent en valeur mes épaules comme j’ai pu le constater plusieurs fois) et les manches abaissées de la version manches longues me laissaient plutôt froide voire circonspecte. Quant au col, j’ai beaucoup hésité et puis les diverses réalisations que j’ai vues ça et là sur le net ont fait pencher la balance vers le col arrondi. J’ai donc choisi un modèle qui, sur le papier du moins, était censé mettre ma morphologie en valeur.

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Ce qui pourrait paraître relever d’un miracle, c’est que ma chemise est pile poil à ma taille alors que je n’ai pas fait de toile (ben non). Les pinces tombent au bon endroit du premier coup, elle n’est trop étroite ou trop large nulle part, il n’y a rien eu à reprendre alors que je me suis lancée sans filet, c’est à dire sans envisager une seule seconde que ça pourrait coincer quelque part. Totalement inconscient, te dis-tu (oui, je t’entends penser). C’est donc le moment de te dire que j’ai quand même eu la présence d’esprit de poser mon patron de base de corsage sur ma planche à patron avant de me jeter sur la taille 36. Il correspondait parfaitement au niveau des pinces, de la distance entre la poitrine et la taille. Alors j’ai dit banco et j’ai jeté ma prudence aux orties. Pas de miracle ici non plus donc.

Le miracle, c’est au niveau du tissu que je le situe, en fait. D’habitude, je suis plutôt classique dans mes choix de tissu. Mais là, j’ai pris un risque, un bon gros risque bien juteux, en choisissant un tissu atypique. J’ai arrêté mon choix sur ce tout piti coupon attrapé à la boutique l’an dernier parce que j’avais envie d’une chemisette à fleurs depuis longtemps, que je ne voulais pas racheter de tissu et que c’était l’un des seuls coupons fleuris pas gnangnan de mon stock. En général, j’hésite beaucoup mais une fois que j’ai pris une décision, je suis plutôt du genre à ne plus revenir dessus et à partir bille en tête sans me poser plus de questions.

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Pas sur ce coup-là. Sur ce coup-là, le doute s’est enroulé autour de moi dès que j’ai posé mon patron sur le tissu. Il m’a tourmentée, m’a passé des épisodes de Magnum dans la tête, la nuit (tu connais? Hawaï, la Ferrari rouge, les dobermans et les chemisettes à fleurs toutes plus moches les unes que les autres ?) . Il m’a susurré que ça allait être impossible à assumer, ces fleurs blanches et fluo de la jungle amazonienne. Il m’a rappelé que c’était une robe ou une jupe que j’avais prévu de coudre dans ce tissu et que même là, ça n’était franchement pas gagné. Il m’a accompagnée tout au long de la coupe puis du montage de ma chemise.

Et moi, encore moins capable de me visualiser dans ce tissu que dans le modèle tout seul, j’ai tangué. J’ai même sérieusement flippé. Le doute, ce poison, m’a mis une pression d’enfer juste pour me punir de mon audace, j’en suis sûre. J’ai eu peur d’être hors sujet, de coudre un truc vraiment importable mais je ne voyais pas quoi faire d’autre qu’aller au bout de ma couture pour en avoir le cœur net. Et bien m’en a pris parce que finalement, au bout du tunnel, il y eut de la lumière! Ma chemise était jolie dans ce tissu (je ne te dis pas le soulagement que j’ai ressenti, coupine)!

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J’ai commencé à placer mes pièces de patron sur mon tissu avant l’été, dans cette euphorie couturistique qui s’est emparée de moi en Juillet. Et puis le mois d’Août et ma résolution de mettre la couture de côté pendant les vacances sont arrivées et j’ai tout arrêté. Aujourd’hui, je trouve que cette coupure fut une chance. Parce que sinon, j’aurais pu faire n’importe quoi, dans l’état de grande agitation qui était le mien à l’époque. La rentrée m’a épuisée, physiquement et nerveusement. Du coup, j’ai pris un temps fou pour couper mes pièces et vu que l’opération a monopolisé toutes mes facultés, je n’ai PAS foiré mes indispensables raccords (il n’y a pas que le passepoil qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue, il y a aussi les raccords nickels). Et je peux te dire que ça n’a pas été simple parce que mes pièces de patrons sont entrées au chausse-pied dans mon coupon (d’ailleurs, j’ai coupé le dos tête bêche par rapport aux devants et le col du dessous est en deux parties).

J’étais fatiguée et j’ai donc humblement suivi les instructions du livret sans chercher à aller plus vite que la musique. Ce fut une couture tout à fait reposante, tu sais? A force de monter des vêtements, j’ai tendance à me passer des explications de montage et à les recréer dans ma pauvre tête saturée alors qu’il suffit d’ouvrir les yeux et de se laisser guider. Malgré le doute, j’ai vaillamment avancé, soir après soir. A peine me suis-je écartée des instructions lorsqu’au montage du pied de col, j’ai choisi la méthode exposée par Sandra dans son pas à pas incroyablement détaillé. Quand il n’a plus manqué que les boutons à ma chemise, je l’ai essayée, histoire d’en finir avec mes appréhensions. Et j’ai été éblouie. Je te le dis en toute sincérité, mon premier essayage m’a tiré un cri, mélange d’incrédulité et de joie, qui aurait pu réveiller mes enfants profondément endormies.

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Tu penses bien que , du coup, je n’ai pas laissé traîner mes finitions. Après avoir essayé tout ce que mon tiroir comptait de boutons, j’ai trouvé mon bonheur, comme d’habitude, à la boutique. Et le soir-même, j’ai cousu mes 12 boutons d’une traite, frétillante de joie.

Je suis donc au sommet de l’Everest. Le ciel est bleu, la neige est blanche, tout est quasiment parfait. Quasiment parce qu’il y a un nuage quand même dans l’azur de mon bonheur: je ne peux pas mettre ma chemise tout de suite (encore qu’avec un petit gilet…). Pour qu’elle donne sa pleine mesure, il me faut la porter les bras nues ce qui n’est possible en Tasticottie qu’en plein été (je suis très frileuse).

Alors je prie pour que mon corps se maintienne jusqu’à l’été prochain, que ma poitrine ne s’affaisse pas et que mon ventre continue de lutter contre le ramollissement qui l’envahit depuis mon second accouchement. Je prie pour que l’été prochain, lorsque j’enfilerai ma chemise, le miracle se reproduise et que j’aie, à nouveau, une allure folle, de la classe, du style.
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26 thoughts on “Le style de la jungle

  1. Effectivement tu as du style avec cette chemise ! Les motifs, les couleurs et la coupe : tout te va ! Dommage que le miracle n’ai pas aussi bien fonctionné sur moi ^^

  2. Chapeau bas Madame ! Tu as réussi la perfection et je trouve que ce tissu est au top sur ton joli teint !
    Et encore plus que mon admiration pour tes exploits, je suis toujours aussi fan de ton coup de plume.
    Je dévore tes écrits autant que tes photos ! Tu es un rayon de soleil dans ce début d’automne !
    Merci pour ce doux moment !
    Bisous bisous !

  3. Là tu as tout résumé : on a du style dans un vêtement taillé à ses mesures! Et là tu trouves tes mesures dans un patron! Trop la classe +plus ce tissu qui attendait (et je n aurais pas parié dessus non plus ! Fallait oser ! Bravo tu es bien une alpiniste de haut niveau!

  4. J’avoue que là, il n’y a pas discussion, elle est parfaite, on s’abîmerait presque dans sa contemplation. Et puis un peu de couleur dans cette grisaille, c’est pas de refus ma bonne dame!

  5. Tu le racontes très bien, il n’y a pas à dire 🙂 Et en effet, elle et toi avez quelque chose…
    C’est drôle, je crois que ce dont tu parles, je l’ai ressenti pour un vêtement cousu pour ma fille, cet été… Il y avait un truc entre cette robe et elle, du style, oui, je crois bien…

  6. Merci beaucoup UnChas! Ceci dit, je suis abonnée à ton blog et j’ai vu ta Mélilot. Perso, et même si tu es un peu dubitative, j’aime beaucoup cette chemise noire sur toi. Vivement la version à manches courtes!

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