Les poissons de Naïm – suite de la suite :)

Sa visite chez le chef du village s’était révélée inutile. Il était allé lui porter le bébé lorsque celui-ci s’était réveillé. Il avait espéré que quelqu’un l’aurait réclamé mais personne ne s’était présenté. Il semblait que l’enfant avait été abandonné. Le chef du village ne voulut pas se charger de lui, prétextant qu’il avait déjà bien trop de bouches à nourrir. Sourd aux faibles protestations de Fayçal, il soutint que ce dernier en était responsable puisque c’était lui qui l’avait trouvé.

Fayçal revint chez lui dans un curieux état d’esprit. Il était à la fois accablé et soulagé. L’enfant se mit à geindre et Fayçal le changea comme il avait vu la voisine le faire. Il s’en tira bien et dans un élan de fierté, il alla frapper à la porte de Zeïnab pour lui montrer le bébé tout propre. Zeïnab le félicita et fit des sourires au petit qui gazouillait sereinement dans les bras de Fayçal. Lorsque Fayçal lui raconta sa visite au chef du village, Zeïnab lui révéla que tout le village en parlait au marché et que tous doutaient que les parents de l’enfant reviennent le chercher un jour. Peut-être sa mère se sentait-elle incapable de l’élever ? Peut-être était-ce un enfant adultérin ? Les rumeurs allaient bon train et les gens étaient curieux de savoir ce que Fayçal allait faire du garçonnet. Après lui avoir dit cela, Zeïnab se tut et le regarda attentivement. Fayçal haussa les épaules, il ne savait pas. Il suggéra que peut-être elle pourrait le prendre mais Zeïnab refusa catégoriquement. Elle ne pouvait ni ne voulait assumer la charge d’un bébé. Elle avait élevé ses enfants, cela lui suffisait. En revanche, elle voulait bien lui donner de quoi nourrir le bébé chaque jour, en échange d’un peu de poisson.

Rentré chez lui, Fayçal se mit à laver les couches sales du bébé pendant que celui-ci jouait avec l’ombre de sa main sur la terre battue du sol de la cabane. Il était un peu perdu. Que devait-il faire ? Garder l’enfant ? Où avait-on jamais entendu dire au Maroc qu’un homme élevait seul un bébé ? Un vieillard de son âge, qui plus est ? Zeïnab avait refusé de s’en charger, à qui d’autre pouvait-il demander ?

Il essayait de faire taire la petite voix insensée qui lui suggérait de garder le bébé. Il était homme, et alors ? disait-elle, il était capable de changer et de nourrir le bébé. Il était vieux, et alors ? Il était encore alerte et capable. Il était seul, et alors ? Il pourrait très bien s’en sortir tout seul. Pourquoi pas ?

Il regarda le bébé qui interrompit ses jeux pour le fixer en retour. Le garçonnet tendit sa main potelée vers lui et lui sourit.

Oui, pourquoi pas, après tout ?

A suivre…(Mais c’est que ça tournerait presque au feuilleton, cette histoire, dites donc!)