Un jour sans pain (#2)

Mais elle ne pouvait pas accepter la façon dont il s’y était pris. Cette rupture barbare la révoltait. Etait-elle donc un monstre qu’il fallait fuir ? Une gorgone aux griffes de laquelle il fallait échapper ? Une mégère dont il fallait se sauver ?

C’était son indignation qui l’avait tirée de la dépression dans laquelle elle s’enlisait peu à peu. Elle n’était pas parfaite, loin de là, elle le savait. Mais quand on avait vécu 44 ans avec quelqu’un, on n’avait pas le droit de l’abandonner de cette manière, on n’avait pas le droit de fuir en cachette et de lui refuser ne serait-ce qu’une explication.

Il n’avait rien laissé, pas un mot, pas une lettre, rien. Tant qu’à être quittée, elle méritait au moins une séparation digne et civilisée. Au lieu de quoi, il lui avait tourné le dos sans le moindre égard, égoïstement et brutalement. Il n’y avait que la lâcheté pour expliquer une rupture aussi laide et avilissante, que la lâcheté pour lui donner l’énergie de partir l’air de rien, ce matin-là.

Paulette se souvenait même qu’il sifflotait en tirant la porte derrière lui. Mais de quoi était-il fait, cet homme qu’elle avait aimé et qui l’avait abandonnée comme ça ? Au fond, elle ne le connaissait pas si bien que ça. Elle n’aurait jamais imaginé qu’il puisse faire ça. Jamais.

Le détective de Philippe avait sillonné l’hexagone sans rien trouver d’autre et au bout de cinq mois, son fils avait arrêté les frais. Paulette avait été très déçue. Elle voulait coûte que coûte qu’on le retrouve. Elle voulait lui parler, obtenir une explication, comprendre.

Les jours, les mois puis les années étaient passés. Paulette était retournée tant bien que mal à sa vie, solitaire, désormais. Elle vivait cloîtrée chez elle, la plupart du temps. Elle avait perdu tous ses amis, de toute façon.

Et puis il y avait eu Lucile et Amina. Son existence s’était un peu colorée à nouveau et son amertume s’était éloignée.

Elle avait admis l’abandon de celui qu’elle considérait de plus en plus comme mort. Son Henri, celui dont elle était tombée amoureuse, celui qu’elle avait épousé pour le meilleur et pour le pire, celui avec qui elle avait construit sa vie était mort. Ne restait, quelque part dans la nature, qu’un homme qu’elle ne connaissait pas et qui l’avait amputée de leur couple sans états d’âme.

Elle ne savait même pas que Philippe avait réembauché son détective en lui demandant d’étendre ses recherches à l’Europe entière.

Et cette fois, il l’avait retrouvé. En Espagne, dans une station balnéaire sur l’Atlantique.

Paulette eut un rictus amer. Henri se la coulait douce dans un petit paradis, loin d’elle. Il devait être heureux d’être débarrassé d’elle.

Il avait été arrêté par la police pour une bagarre dans un bar là-bas. Une bagarre ? Ca lui ressemblait si peu, lui qui était toujours si pondéré.

Elle n’aurait jamais cru qu’on le retrouverait un jour, pas après trois ans. Philippe y croyait, lui. Il y avait toujours cru.

C’était ce qu’il lui avait répété tout à l’heure, quand il était venu lui annoncer la nouvelle. Il était tout excité, ne tenait pas en place, fébrile, exultant.

« On a réussi ! Tu te rends compte ? On a réussi ! C’est merveilleux, non ? Ah, je le savais ! Je savais qu’on allait le retrouver un jour. »

Paulette n’avait pas dit un mot. Elle était sous le choc. Vraiment. Sidérée, même. Elle n’arrivait pas à penser droit devant l’enthousiasme bruyant de son fils.

« Bon, on va le chercher ! Je m’occupe de tout et je t’appelle » avait-il lancé en lui plantant deux bises sur les joues avant de s’en aller, manquant de se cogner au chambranle de la porte d’entrée dans sa précipitation.

Paulette était restée assise dans son canapé, hébétée, depuis le départ de Philippe quelques heures plus tôt. La nuit était tombée et elle n’avait pas allumé les lumières. Elle ne s’était levée que pour boire un verre d’eau et aller chercher son châle qu’elle serra contre elle en espérant arrêter de frissonner.

Son châle gris aux reflets d’orage d’été. C’était Henri qui le lui avait offert. L’ancien Henri, celui qui vivait avec elle à Paris, celui qui l’aimait, celui qui était mort.

Pendant toutes ces années, elle n’avait pas réfléchi à ce qu’elle ferait si on le retrouvait. Elle caressa son châle, un pâle sourire lui étirant les lèvres au souvenir du jour où il le lui avait offert.

C’était trop tard maintenant. Bien trop tard.

Paulette respira profondément puis se pencha, saisit le combiné de son téléphone, composa le numéro de son fils et se redressa tandis que ça sonnait.

– Philippe, c’est Maman, dit-elle quand il décrocha. Philippe, je… je ne viendrai pas avec toi. Je n’irai pas le chercher.

Elle sentit sa voix chevroter et l’affermit.

« Je vais demander le divorce. » ajouta t’elle calmement avant de raccrocher tout doucement au nez de son fils.

°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°

C’est la rentrée, coupinette. Et comme tu sais, la rentrée, c’est l’occasion de prendre une seconde fournée de résolutions. Je n’en prends que deux: retourner à la piscine faire des longueurs une fois par semaine et ranimer mon blog. Raisonnable, n’est-ce pas?
Cette année, la Tite Mamie de Charming a atteint l’âge vénérable de 90 ans. Il fallait marquer le coup. Et donc, je lui ai tricoté un châle:

Les paris:
– Réussir à fabriquer un cadeau de mes dis doigts pour la chère Tite Mamie.
– M’intier à la dentelle en tricot.
– Finir le châle avant l’anniversaire de Tite Mamie (pari à moitié perdu: j’ai loupé le jour de son anniversaire mais j’ai réussi à finir la veille de la grande fête qui a eu lieu quelques semaines plus tard).

Recette:
– Le châle « Soir d’été » du blog Des filles et des aiguilles

Ingrédients:
4 pelotes de Bambou de Fonty couleur gris perle (Lil Weasel) tricotées en aiguilles 4.

Grains de sel:
Tût tût tût! Tricot ET dentelle, aucune chance que je fanfaronne, coupine: aucun début de commencement d’once de modification à l’horizon.

Le franchement plaisant:
– La dentelle, c’est sympa. Le point fantaisie se retient facilement et ça en jette, y’a pas à dire. La classe à peu de frais.
– Un châle, c’est zéro coutures et à peine deux ou trois bouts de fils à rentrer. Tu imagines bien que j’ai vraiment aimé ce tricot.
– Le châle semble avoir plu à Tite Mamie et ça, ça me fait drôlement plaisir. Je le lui ai offert en Mai et j’ai eu le plaisir de la voir le porter cet été, quand les soirées étaient fraîches. Il faut dire que le fil que j’ai utilisé était très beau: gris avec des reflets parme (le parme est une couleur qu’elle porte souvent) du plus bel effet.

Le franchement barbant:
– Le Bambou est un fil franchement contrariant à travailler: Il a un peu peluché par endroits (à force d’être trimballé dans mon sac, certes) mais surtout, il a fait des noeuds qui m’ont ruiné des soirées, entièrement passées à les défaire, j’ai même jeté l’éponge plusieurs fois et carrément coupé le fil (j’en profite pour remercier Mady, Marine et Charming qui se sont acharnés un après-midi entier sur un énorme noeud).
– Sur la fin, c’est long comme un jour sans pain, un rang de châle. J’ai lutté, coupinette, j’ai lutté, pour le finir dans les temps. J’ai rabattu mes dernières mailles tard dans la nuit, la veille de la fête.
– Le coton, c’est chouette, ça a un tombé superbe, tricoté en châle, mais ça met des plombes à sécher, quand même. J’ai offert un châle encore humide à Tite Mamie, lors de la fête (non, ça n’a rien à voir avec le fait que je l’ai lavé le matin même et mis à sécher « au vent »).
– Il est plus petit que je pensais, à voir le modèle, mais du coup, il est pile poil de la bonne taille pour tite Mamie qui est toute menue.
– Rhaaaaa! Je me suis plantée! J’ai fait une erreur que je n’ai vu qu’au moment de bloquer le châle. Rage et dépit! Sur le côté droit du châle, tu peux voir que le motif est décalé sur les derniers rangs (regarde bien la troisième photo, c’est flagrant). Bon ben comme ça, il est clairement unique, ce châle (on se console comme on peut).

Do it again:
– Déjà, je me concentrerai pour ne pas faire d’erreur.
– Ensuite, je le ferai un peu plus grand.
– Enfin, je changerai de laine, j’en prendrai une qui ne fait pas de noeuds.


La p’tite idée qui fait du bien:
Pas d’idée aujourd’hui mais un chouette article de Thread & Needles pour débuter la dentelle au tricot.

22 thoughts on “Un jour sans pain (#2)

  1. J’ai cherché… j’ai regardé comme dans le jeu des septs erreurs, il est tôt et je suis peut-être fatiguée mais moi je n’ai rien trouvé du tout donc on dira qu’il est parfait en son genre :p
    Emotion, émotion dans ton histoire, c’est triste et c’est beau et c’est plein d’espoir. J’aime toujours autant ce que tu fais 🙂

  2. Elle en a la chance Tite Mami. Je vois bien sur les photos qu’elle « frime » avec son beau châle. Elle a raison, note!
    Quant à l’erreur flagrante, ben, elle ne l’est pas pour moi….
    Bises

  3. Bravo !! Elle demande le divorce !! ca c’est bien envoyé même si après elle change d’avis ( ben ouais j’suis comme ça moi ..un peu tarte ;D) !!
    A chaque fois que je te lis je m’emballe !!! ..j’adore !! Ta manière d’écire, tes personnages, leurs histoires …
    Et pour le châle de ta Tite Mamie , il est trop joli et délicat comme elle ..

  4. quelle délicate attention! il est superbe! l’erreur je ne la voit pas et je ne la chercherai pas tellement le rendu est magnifique!

    vivement la suite, je ne lasse pas de tes écrits et bonne rentrée!
    bises

  5. Tu verras que ce n’est vraiment pas difficile, Caro! Et c’est une laborieuse du tricot qui te dit ça, hein!

    Rhouuuu! Merci Yanoudatoi, ça me touche beaucoup!

    Ah là là Alexandra! Ca me fait super plaisir que tu aimes bien mon écriture! Merci!
    Je peine à trouver du temps et à avoir le bon était d’esprit pour écrire sereinement mais je me bagarre, j’ai très envie de continuer (surtout que la suite se dessine très nettement dans ma tête).

    Bon, si ce n’est pas flagrant, Céline, ça me console un peu… Et pour le coup, je suis contente de lui avoir offert quelque chose d’utile, elle n’a plus froid, le soir en été! 🙂

    Merci Lilly!!

    Ouh là Pascale! Je suis trop « légère » en tricot pour faire des démonstrations dans la boutique. Franchement, la dentelle au tricot, ce n’est pas difficile, c’est juste un motif à répéter, avec des jetés, mais vu qu’on répète toujours le même, ça s’enregistre vite (enfin sauf là où j’ai buggué).

    Merci Geneviève!!

    Merci beaucoup Laurianne!

    Sérieusement Edwige, ça me fait très plaisir de lire ton commentaire, l’enthousiasme se fait rare à notre époque et donc, je me réchauffe au contact du tien!
    Ca me donne envie d’écrire encore et encore…

    Merci Séverine! Bonne rentrée à toi aussi!

  6. Pour ne pas faire bouillonner mon cerveau de presque quinqua j’attends dorénavant la 2e partie de tes histoires afin de tout lire d’une traite… ET là surprise il y a toujours autant de suspens, mais ce n’est que du bonheur.
    Tite mamie a du être heureuse parce qu’un cadeau comme celui là, pour sûr il est unique et drôlement bien choisi

  7. Magnifique châle du plus bel effet! Elle a de la chance Tite Mamie…

    Contente de retrouver les personnages de tes histoires.

    M »en vais lire l’article sur threads and needles.Merci.

  8. Je suis ravie que ça t’ait plu Naninotte ! Et merci beaucoup! Il faut dire que depuis le temps que je voulais lui faire un chouette cadeau de mes petites mains, à Tite Mamie, j’étais particulièrement contente d’avoir eu l’idée du châle!

    Merci Crépunette! Je suis toute fiérote de moi-même, maintenant! 😀

    Merci beaucoup Ti Molokoy!

    Merci à toi pour ce doux commentaire Nafi! A bientôt!

  9. J’adore!!!
    Ta nouvelle histoire, comme le châle, qui est superbe (mon prochain? ;-))
    Je suis tes aventures , BRAVO pour tout, pour ton projet, pour tes histoires que j’adore, pour tes créas.
    Si je vais un jour à Paris, sûr que je passe te voir!

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *