Un jour sans pain (#1)
Paulette ne parvenait plus à quitter son canapé. Ca faisait des heures qu’elle y était assise sans bouger, à regarder dans le vide.
Elle pensait au 2 Mai 2009.
C’était le matin du 2 Mai 2009 qu’Henri était parti. Il avait mis sa veste et sa casquette, marmonné qu’il allait chercher du pain pour le déjeuner puis était sorti. Une minute avant, il était dans le vestibule et une minute après, il disparaissait de sa vie. Comme ça, tout simplement.
Philippe, sa compagne et leurs enfants étaient venus déjeuner, ce midi-là.
Ils avaient attendu avec elle, puis déjeuné sans appétit et sans pain. Ils avaient attendu encore et puis ils étaient partis, laissant Paulette mijoter dans une colère qui s’était peu à peu muée en inquiétude puis en affolement.
Elle se souvenait de cette journée-là en détails. Le poste de police, l’attente, l’impatience de l’agent qui l’avait reçue, les questions en rafales, ses réponses hésitantes.
« Depuis 9h ce matin… Non, il n’est pas malade… Oui, oui, j’en suis sûre, c’est moi qui m’occupe des papiers de la sécu… Ben non, rien de particulier n’est arrivé, non… »
L’agent ne l’avait pas prise au sérieux, elle l’avait bien vu. Il l’avait raccompagnée, coupant court à ses protestations en l’assurant qu’Henri allait revenir et que, de toute façon, il était bien trop tôt pour s’inquiéter.
Alors elle s’était débrouillée toute seule. Elle avait appelé Philippe et, les jours suivants, ils avaient cherché Henri. Partout. Ils avaient interrogé les voisins, parlé aux commerçants du quartier, appelé les hôpitaux des environs, ils avaient même placardé des affichettes avec sa photo, dans les gares. En vain.
Paulette avait cru devenir folle. Elle avait eu l’impression de ne plus pouvoir respirer, d’étouffer en permanence. Elle ne dormait plus, ne mangeait plus, rongée par l’angoisse. Elle imaginait Henri blessé, agonisant dans un fossé ou dans un terrain vague. Elle était sûre qu’il lui était arrivé quelque chose. Quelque chose de grave. Le médecin avait dû lui prescrire des calmants et des somnifères pour qu’elle puisse continuer à vivre.
Philippe avait embauché un détective privé pour retrouver son père. Et Paulette avait essayé d’y croire. Elle écoutait son fils lui répéter que le détective allait forcément le retrouver. Et elle tentait de s’en convaincre.
Au bout de quelques jours de recherches, le détective avait retrouvé la trace d’Henri. A Lyon, des commerçants l’avaient reconnu sur les photos que le privé leur avait montrées. Il avait dormi dans un petit hôtel près de la gare. Il avait ensuite été vu à Marseille. Après ça, le détective l’avait perdu.
La bonne nouvelle, avait dit Philippe, c’était qu’il était vivant et en bonne santé. Il allait revenir, pour sûr, il allait revenir.
Paulette avait attendu son retour, les premiers temps. Tous les matins, elle traînait une chaise dans le couloir et s’asseyait, fixant la porte d’entrée. Elle restait là des heures à attendre en espérant entendre la clé tourner dans la serrure et voir son mari rentrer enfin. Elle n’osait pas sortir, de peur de le rater.
Et puis, à mesure que les jours passaient, l’attente et l’espoir retrouvé firent place à l’évidence. Vivant et en bonne santé. Henri se portait comme un charme. Il n’avait pas été enlevé, il n’avait pas eu d’accident, il n’était pas amnésique. Il n’y avait même pas de maîtresse derrière sa disparition, le détective ayant précisé que partout où on l’avait vu, il était seul.
Paulette avait fini par comprendre. Henri était parti de son plein gré.
Il l’avait quitté.
Il avait tout préparé. Paulette avait découvert qu’il avait vidé la moitié des comptes. Exactement la moitié. Alors oui, il ne l’avait pas laissée sur la paille, il n’avait emporté que ce qui lui revenait.
Mais quand même, ce qu’il lui avait pris était infiniment plus précieux. Il avait arraché un morceau de son cœur et, à la place, il lui avait laissé la douleur et la honte.
La douleur d’être brutalement quittée, abandonnée. La douleur de ne pas savoir, de ne rien comprendre. Et la honte d’être celle qui reste, celle à qui on tourne le dos.
De la compassion et de la commisération, leurs amis, leur famille étaient passés à la pitié, la gêne et la suspicion. Elle avait bien vu leurs regards, elle avait bien compris leurs silences, leurs fausses excuses pour ne plus la voir, elle avait bien saisi qu’ils avaient fini par penser qu’elle avait quelque chose à voir avec le départ soudain d’Henri. Même Philippe le lui avait reproché, un soir de colère et de frustration. Comme si elle avait commis une faute, comme s’il y avait un horrible secret dont Henri n’avait pu se délivrer qu’en partant ainsi.
Impuissante, elle avait glissé de la position de victime à celle de coupable. Et elle n’avait pas su se défendre.
Certains jours particulièrement sombres, elle avait cru comprendre. Ca faisait des années qu’il ne se passait plus grand-chose dans leur vie. Plus rien, même, depuis que Philippe avait quitté la maison pour aller étudier à Lille. Ils vivaient dans une indifférence polie, côte à côte, s’appuyant sur la force de l’habitude pour continuer. Ils ne se disputaient même plus. Leur couple s’était engourdi et elle pensait qu’ils étaient trop vieux pour le ranimer. Non, leur vie était derrière eux et tout ce qu’ils faisaient, depuis des années, c’était attendre la mort ensemble.
La fuite d’Henri était donc une sorte de sursaut, un besoin de vivre encore. Elle l’avait trouvé courageux d’avoir osé rompre alors qu’elle n’avait rien fait pour que les choses s’améliorent.
A suivre…
pour moi, ce texte est un de tes meilleurs (je l’avoue, ceux sur les « jeunes trentenaires en mal d’amour » ne m’ont pas trop fait vibrer …), il est vraiment magnifique, bravo !
Ah, suspens quand tu es là!
je n’avais pas compris que Philippe est le fils de Paulette, ah d’accord, d’accord,
c’est plus clair, alors, hum hum!!!
faut que je relise tout çà, cela faisait trop longtemps du coup j’ai oublié qui est qui.
à bientôt
Chouette de te retrouver par ici et d’avoir des nouvelles de Paulette !
(enfin sauf que j’ai un peu perdu le fil moi aussi ! Moi aussi il faudrait que je relise un peu les épisodes précédents !! :))
Hiiii tu es de retour! trop chouette! ça m’a fait un chouette divertissement dans mon aprem de repos forcé!
Enfin ton retour Tasticottine!!! 🙂 Et de Paulette and co! Je suis super contente…
Bon, ben, je ne vais pas changer mes habitudes : la suiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiite s’te plaît…..!!!!!!!!!!!
Merci Papelhilo! 🙂
C’est vrai que ça fait longtemps que je n’avais pas posté, Pascale. Mais bon, j’espère pouvoir revenir à un rythme plus régulier. 🙂
Merci Caro! Bon, je vais tâcher de moins espacer mes épisodes alors! 🙂
Repos forcé Yanoudatoi? Rapport au p’tit prince dans ton ventre? Tout va bien, j’espère?
Merci Célinette! La suite, tout de suite!